Né, on le sait, en février 1928, au mochav de Kfar Malal (Acronyme, nous le découvrons, d’un écrivain juif de Lituanie, Moshé Leib Lilienblum), Ariel Sharon, nous raconte l’auteur, est profondément marqué par son histoire familiale. Comment ne pas noter, en effet, que c’est sa grand-mère, la sage-femme Myriam Scheinerman, qui a mis au monde Menahem Begin. Quant à son grand-père, il faisait le coup de poing, pour la bonne cause, en compagnie de Zeev Begin, le père du futur Premier ministre. Ce sont de tels détails qu’Ariel Sharon, au cours de sa carrière, ne manquera pas de rappeler à l’occasion. « L’utilisation constante d’éléments de son roman familial pour susciter l’adhésion du peuple à ses choix politiques se révèle d’une redoutable efficacité dans un contexte où les grandes idéologies forgées au cours du XIX ème siècle et de la première partie du XX ème perdent de leur pertinence ».
Homme de la terre, passionné par la nature et les animaux, Ariel Sharon, saura, au fil des ans, et malgré les embûches comme les chausse-trappes, devenir un militaire avisé-de la brigade Golani à l’unité 101 et de la 890ème brigade parachutiste qui deviendra l’unité 202 au sacre d’Arik, sauveur du pays et « roi d’Israël »- et un politicien de talent. .
Des détails de toute nature relativement peu connus parsèment l’ouvrage: la récupération mouvementée du sergent Yitzhak Gibli emprisonné en Jordanie en 1954, l’opération « Feuille d’olivier » sur la rive syrienne du lac de Tibériade en 1956, le procès interrompu en 1956, pour avoir souffleté un soldat ou, dans un tout autre registre, les leçons de gastronomie et de savoir-vivre que lui procure un officier français, le colonel Simon, son équipée mouvementée dans le désert d’Érythrée, fief de nomades terrifiants, les Danakils, grands amateurs de testicules humains, l’incursion israélienne à Safi, en Arabie Saoudite, en 1970 ou son baise-main maladroit à la reine d’Angleterre. Les liens étroits d’Ariel Sharon, réputé peu religieux, avec le rabbin Menahem Mendel Schneerson sont également mis en évidence. Ainsi, la cérémonie annuelle du souvenir de Gali et Gour, sa première épouse et son fils aîné, tous deux tragiquement disparus, dans le cimetière de Tel-Aviv, est toujours animée par des adeptes du rabbi de Loubavitch.
Un des points intéressants qu’analyse Luc Rosenzweig, à plusieurs reprises, est celui de la relation ambiguë de Sharon avec les Arabes. Dès 1948, il perçoit que « ce ne sont pas seulement des ennemis à combattre, mais des adversaires avec qui il est possible de négocier et, pourquoi pas, de s’entendre sur des questions précises, sans remettre en cause les principes sacrés des uns ou des autres ». Toutefois, « jusqu’à l’ultime fin de sa vie, Ariel Sharon reste persuadé que les traités de paix avec Israël signés par les dirigeants arabes, dont il ne met en doute ni la loyauté ni la sincérité personnelle, ne constituent pas une garantie durable pour l’État juif. Il partagera toujours le pessimisme de sa mère sur le caractère inéluctable et définitif du refus arabe et musulman de la souveraineté juive sur tout ou partie de la Palestine ».
On trouve également dans cet ouvrage décidément précieux, ce jugement à l’emporte-pièce concernant les grandes familles libanaises chez qui il a eu l’occasion d’être reçu : « Ce sont des gens qui pratiquent le baise-main des dames le soir et manient le couteau d’égorgeur dans la journée ».
Cela ne l’empêche pas d’avoir de bons amis arabes. Il ne se trouve bien, raconte Rosenzweig, qu’en compagnie, notamment du député travailliste bédouin Cheikh Hamad Abou Robeïa, dont le hasard lui fait partager le même bureau attribué par l’administration de la Knesset. « Avec lui, il évoque les nuits dans le désert, l’élevage des moutons et toute cette passion de la nature sauvage qui les réunit en dépit de leurs différences »
Et c’est encore lui, Ariel Sharon, héraut de la droite dure qui prend l’initiative, en 2001, d’attribuer, c’est une première, un portefeuille ministériel à un Arabe israélien, le Druze Salah Tarif.
Quant à Abou Mazen, qu’il rencontre en 1997 et qu’il recevra plusieurs fois à la ferme des Sycomores,, il n’hésite pas, tout sourire, à affirmer à Sharon : « En nous chassant de Beyrouth, vous nous avez débarrassés de la tutelle syrienne, nous vous en sommes reconnaissants ». Stupéfiant !
Sharon, nous dit Rosenzweig, aura été l’homme du « sionisme du possible ». Il restera, ajoute-t-il, celui qui aura su mettre fin au rêve du Grand Israël et qui amorça le désengagement des territoires occupés. Mais, conclue-t-il, « sa postérité est loin d’être assurée ». À lire absolument.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Perrin. Septembre 2006. 444 pages. 22,50€