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Publié le 18 Juillet 2005

Auschwitz, 60 ans après Par Annette Wieviorka(*)

On pense parfois que tout a été dit sur Auschwitz. Les ouvrages de référence abondent, les témoignages individuels se multiplient. Le dernier livre d’Annette Wieviorka vient à point pour nous montrer qu’il y a encore beaucoup de choses à découvrir, beaucoup de choses à dire, beaucoup de points à préciser. Avec le souci de clarté et de solidité des arguments qui la caractérise, l’historienne nous conduit dans un véritable voyage au bout de l’enfer.




« Désinserré de l’espace dans lequel le camp a été installé, Auschwitz est aussi de plus en plus déconnecté de l’histoire qui l’a produit. Auschwitz désigne désormais par métonymie la Shoah. »


Longtemps, pour des raisons politiques, le gouvernement polonais a oblitéré le caractère juif de la catastrophe. Depuis, cette injustice a été largement réparée. Mais on n’échappe pas aux mœurs de notre époque. Le 27 janvier 2004, en plein camp, la sonnerie du portable d’une journaliste belge retendit. Bribe de conversation : « Ca pourrait aller mieux. Je suis dans une chambre à gaz ». Ainsi va le monde. Sur les lieux même de la Shoah, on se promène en short l’été, « en suçant éventuellement un cornet de glace. On y mangeait à la cafétéria, on donnait quelques zlotys à la dame pipi »


« Auschwitz est le plus grand cimetière du monde : plus de un million d’hommes, de femmes et d’enfants y furent assassinés ». Pourtant, le risque de banalisation des lieux de ce drame unique est évident. C’est pourquoi le travail des historiens est essentiel. « Rendre Auschwitz à l’histoire, ce n’est pas le ranger dans un tiroir. C’est, au contraire, en assurer la pérennité ».
Grâce au témoignage du premier commandant du camp, le SS Obersturbannführer Rudolf Höss, en avril 1946, devant le tribunal suprême de Varsovie, on dispose de précisions inouïes sur la genèse et le déroulement des crimes nazis.


À proximité de Birkenau, dans la zone interdite, la Sperrgebiet, furent aménagées les premières « vraies » chambres à gaz dont une fermette en brique à toit de tuiles, la « Petite maison rouge » où l’on pouvait entasser trois à quatre cents personnes pour les gazer. L’endroit a été localisé par le Dr Richard Prasquier, président de Yad Vashem France et conseiller du président du CRIF ainsi que par l’historien italien Maecello Pezetti. À l’emplacement de la « Maison Rouge » une chaumière avait été reconstruite et était habitée par une famille polonaise. Grâce à Richard Prasquier, qui proposa une nouvelle maison aux habitants, le logement a été rasé et fera place à un lieu de mémoire.


Des chapitres remarquables sont consacrés aux Tsiganes, au fameux « Canada » où étaient triés les vêtements des suppliciés, aux ahurissants orpailleurs, véritables hyènes, avides d’ « or juif », qui accouraient de partout, après la libération, pour fouiller la terre des camps à la recherches d’or dentaire ou de bijoux cachés. Chapitre étonnant aussi que celui sur les tatouages. On découvre avec stupeur ce que raconte Imre Kertèsz, à savoir que « les quelques nourrissons qui étaient nés là-bas au cours de l’histoire d’Auschwitz avaient eu leur matricule tatoué sur la cuisse puisqu’il eût été impossible de le faire sur l’avant-bras, tout simplement par manque de place, l’avant-bras d’un bébé étant trop court ».


Fallait-il bombarder Auschwitz, ne serait-ce que pour sauver les Juifs hongrois? Annette Wieviorka examine avec soin toutes les éventualités pour demeurer, in fine, dans l’expectative. Le problème, il est vrai, ne fut pas simple. Mais c’est en fait, dit-elle, une « question écran ». Car il demeure, tout compte fait que « L’impuissance à sauver le dernière grande communauté juive d’Europe, encore intacte à l’heure de la Libération, apparaît bien comme une faillite morale chez ceux-là même qui ont mis fin à la barbarie nazie ».

Un livre remarquable.

Jean-Pierre Allali

* Éditions Robert Laffont. Janvier 2005. 306 pages. 20€