Quelque six cent mille Juifs venus de Cracovie, de Lublin, de Lvov, mais aussi d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie, ont été exterminés en ces lieux. Et, comme souvent, les nazis, défaits, ont cherché à camoufler leur crime. Les corps ont été déterrés des fosses et brûlés, les bâtiments et les infrastructures démantelés et des arbres plantés sur les lieux mêmes de l’ignominie.
Les témoignages, au lendemain de la Libération étaient rares. Essentiellement ceux de deux Arbeitsjuden, des « travailleurs forcés juifs », Rudolf Reder et Haïm Hirszman qui témoignèrent en 1946 devant des commissions d’investigation. La plupart des responsables arrêtés n’ont pas été réellement punis à la hauteur de leurs crimes.
À l’occasion d’un voyage en Pologne effectué en avril 2000 en compagnie de Richard Prasquier, alors président du Comité Yad Vashem France , du père Patrick Desbois, secrétaire de l’épiscopat français pour les relations avec le judaïsme et de l’historien Marcello Pezzetti, Guillaume Moscovitz prend la décision de consacrer un film à Bełżec. Dans l’esprit et la lignée directe du monumental Shoah de Claude Lanzmann dont il s’inspire incontestablement, Moscovitz va tourner pendant dix semaines. Soixante heures de pellicule dont le meilleur aboutit à ce film remarquable désormais accessible au public sous forme de deux DVD (*).
Les lieux d’abord, dans toute leur simplicité et dans toute leur horreur. Des villes autrefois pleines de Juifs qui semblent aujourd’hui désertes de leur ancienne âme. Des gens, bien sûr, comme ces jeunes Polonais qui vont pique-niquer en vélo sur les lieux mêmes de la tragédie. Savent-ils ce qui s’est passé ici ? Réalisent-ils que l’herbe sur laquelle ils vont étaler leurs nappes avant de déguster leurs sandwichs est, encore aujourd’hui, toute blanchie par la poussières des ossements, hier enfouis et qui refont surface régulièrement ? Oui, ils savent, mais qu’y faire ? C’est le meilleur endroit de détente dans les environs. Alors, on oublie et on s’amuse. Terrible. Certains témoins n’hésitent pas à évoquer la tentation forte, à l’époque, de fouiller les lieux à la recherche du mythique « or juif », d’autres rappellent sans vergogne, le côté « humain » de certains tortionnaires. Braha Rauffmann, enfant juive cachée à l’âge de sept ans pendant deux ans, raconte comment elle a survécu dans un trou minuscule aménagé sous un tas de bois grâce à Julia, la Polonaise qui l’a sauvée. Voici aussi Irena Johannes, née dans une famille juive bourgeoise assimilée qui deviendra agent de liaison d’un groupuscule de combattants juifs. Voici aussi Tuviah Friedman, de Radom, qui s’évada du camp de Szkolna et, par son témoignage entre 1945-1946, contribua à l’arrestation de plus d’un millier de nazis.
La caméra est parfois, surtout quand elle filme des paysages, un peu statique, mais c’est la loi du genre. Soutenu notamment par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et le Centre National du Cinéma, « Bełżec » a obtenu de nombreuses récompenses à la Semaine de la Critique du Festival de Venise, au Human Rights Festival de Varsovie et au New York Jewish Film Festival. Un très beau et très émouvant témoignage. Sorti au cinéma en 2005, le film est désormais disponible en DVD. À voir absolument.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions de la Compagnie Phares et Balises. 2008. Un coffret de deux DVD couleur (108mn) avec livret explicatif. Les interviews, en hébreu ou en polonais, sont sous-titrées en français. Avec la contribution d’Annette Wieviorka et de Jean-François Forges. Prix public conseillé : 28 euros.
www.phares-balises.fr