Le ton est donc donné dès les premières pages de cet ouvrage. Comment on est on arrivé là ? Cette question lancinante hante littéralement l’auteur. Comment cette (extrême) gauche a-t-elle pu dériver inexorablement, pendant que l’autre gauche – plutôt anti-intégriste et anti-totalitaire- la regarde s’éloigner inexorablement. L’autre gauche semble paralyser d’incompréhension : comment on est on arrivé là ?
Caroline Fourest rappelle qu’elle appartient à cette autre gauche là, qu’elle qualifie de nouvelle gauche antiraciste, anti FN, féministe, égalitaire, pro-choix ; une gauche qui ne choisit pas entre égalité et liberté, assure-t-elle. Entre ces deux gauches, « la fracture que nous sommes en train de vivre est aussi importante que celle que nous avons vécue à propos du stalinisme », assure l’auteur. Seulement ce cri d’alarme, car il s’agit bien d’un cri d’alarme ne s’adresse d’ailleurs pas qu’à la gauche. En tant que laboratoire d’idées, la gauche est en priorité touchée par la tentation obscurantiste. Mais elle n’est pas la seule, convient Fourest.
Et Fourest de raconter toutes les trahisons, toutes les compromissions, toutes les tentations obscures et fascisantes. Durban notamment.
Fourest est arrivée à Durban, en 2001. Elle voulait assister à la Conférence mondiale contre le racisme organisé par les Nations unies (28 août au 7 septembre 2001). Elle dit être tombée nez à nez avec des « fanatiques voulant nous ramener au Moyen Age. Plus exactement aux années trente ». Et loin d’être un moment de communion antiraciste, le forum des ONG de Durban s’est révélé être un vrai foyer d’agitation antisémite et pro-islamiste. Elle raconte par exemple comment la réunion du Caucus européen, a été soudainement envahie par des militants surexcités. Ces militants exigeaient que la condamnation d’Israël figure en haut des priorités, mais la violence de leurs méthodes et certains propos antisémites ont choqué les animateurs du Causus. Ceux-là se sont fait traiter de « fascistes » et de « colonialistes » travaillant pour le Mossad, simplement parce qu’ils s’étonnaient de tels procédés. Fourest soutient que plusieurs militants antiracistes français ont bel et bien pris part au putsch de Durban aux côtés des islamistes.
Et Fourest de s’élever également contre le nombre impressionnant de chercheurs et d’intellectuels qui, sous prétexte de dénoncer prioritairement la politique liberticide du régime algérien, sont allés jusqu’à soutenir les intégristes du FIS et du GIA. Elle parle aussi de la fascination pour l’Iran, que l’on retrouve chez presque tous les tiers-mondistes en dépit de toute rationalité et de toute préoccupation pour les droits de l’homme – est surtout des femmes. Elle explique que beaucoup d’intellectuels ont appuyé le régime iranien à la suite d’un calcul cynique, où l’islamisme faisait figure de « défi symbolique à tout le système occidental de valeurs. » C’est ce qu’écrivait Jean Baudrillard dans un article paru le 13 février 1980 dans Le Monde, où il présentait l’Iran comme « le seul déstabilisateur actif de la terreur et du monopole stratégique des deux grands » de l’époque. Plus grave, annonce Caroline Fourest, dans cette propagande, c’est sa mauvaise foi. On y retrouve toutes les ficelles qui avaient jadis servi à nier le totalitarisme soviétique, recyclée pour servir désormais la propagande islamiste.
Comment expliquer alors qu’une certaine gauche perçoit l’islamisme comme le danger totalitaire, un fanatisme en guerre contre les libertés individuelles, les droits des femmes, la laïcité, la démocratie tandis qu’une autre gauche perçoit au contraire les islamistes comme un mouvement de « libération » révolutionnaire et donc d’une certaine manière progressiste, s’interroge à nouveau Caroline Fourest ?
Sa conclusion édifiante, semble répondre à cette question lancinante. Et Fourest d’ajouter que « le risque ne vient pas des Français d’origine maghrébine, ultramajoritairement laïques, mais bien de cette gauche obscurantiste prête à fournir les commissaires politiques et les petits soldats qui manquent aux intégristes. Il s’agit moins de prendre le pouvoir en Europe que d’utiliser ce continent pour recruter, radicaliser au sein d’une Internationale islamiste/altermondialiste dont l’existence est en soi redoutable. Car elle pourrait servir de marchepied à une seconde révolution mondiale à l’Iranienne. A l’époque déjà, les élites de gauche n’avaient pas manqué de vanter ce « fou génial qu’était Khomeiny ». L’histoire ne sert-elle à rien ? Déjà certains nous expliquent combien l’Iran a raison de vouloir se doter de l’arme nucléaire pour tenir la dragée haute à l’Amérique… »
Marc Knobel
Caroline Fourest, La tentation obscurantiste, Ed. Grasset, 2006, 166 pages, 9 euros.