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Publié le 27 Avril 2006

Combat pour Dreyfus Par Émile Zola (*)

Tout a déjà été dit sur Dreyfus, ou presque. Les ouvrages sur « L’Affaire » sont légion. Des témoignages de première main comme ceux du déporté de l’Île du Diable lui-même (1), de son frère, Mathieu (2), de Georges Clemenceau (3), Jean Jaurès (4) et Bernard Lazare (5) aux études magistrales, notamment celles de Jean-Denis Bredin (6) ou Claude Dufresne (7). Pourtant, la publication de textes d’Émile Zola parus entre 1897 et 1900, réunis sous le titre « Combat pour Dreyfus » est, à l’heure où l’on commémore le centenaire de la réhabilitation du célèbre capitaine juif, particulièrement opportune.


Comme le dit dans la préface, l’arrière-petite-fille du grand écrivain, Martine Le Blond-Zola, « Dans son magnifique combat pour innocenter Alfred Dreyfus, homme héroïque et digne sacrifié au nom de la raison d’État, Émile Zola a agi sous l’effet d’une intolérance viscérale au mensonge et à l’injustice. Avec une intense soif de révolte ».
Et c’est bien cette soif de révolte qui transparaît, au fil des pages, d’une lecture qui met en évidence bien des moments oubliés de cette terrible affaire.
Chaque document proposé, lettre ou article, est précédé d’une notice explicative très utile qui permet de suivre le déroulement de l’Affaire, pas à pas.
Tout commence par une initiative du vice-président du Sénat, Auguste Scheurer-Kestner qui, le 13 novembre 1897 a invité Zola chez lui pour lui faire part de sa conviction de l’innocence de l’accusé. Dans sa lettre au vice-président, du 20 novembre 1897, on découvre un Zola ému, mais encore incertain sur l’attitude à adopter : « Je ne sais pas ce que je ferai, mais jamais drame humain ne m’a empli d’émotion plus poignante ».
Mais, dès le 20 novembre, il se lance dans la bataille. Hanté par le drame vécu par Dreyfus, comme il le confie à sa femme, Alexandrine, il ne peut plus se retenir. Le Figaro, du 25 novembre 1897 publie son premier article qui s’achève par ces mots prémonitoires : « La vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera ».
Dans « Le syndicat », publié le 1er décembre, Émile Zola précise sa pensée. Il n’a rien contre les Juifs, rien pour non plus. Seule la vérité lui importe : « Et je parle d’eux bien tranquillement, car je ne les aime ni ne les hais. Je n’ai parmi eux aucun ami qui soit près de mon cœur. Ils sont pour moi des hommes, et cela suffit ».
Mais c’en est déjà trop pour les lecteurs du Figaro, dont le directeur, Fernand de Rodays, partage pourtant les idées de Zola. Un troisième et dernier article paraît le 5 décembre.
Les portes du Figaro désormais fermées, Zola, pugnace, entreprend, grâce à l’éditeur Eugène Fasquelle, la publication de brochures.
Avec le fameux « J’accuse » du 13 janvier 1898, L’Aurore prend le relais de son confrère.
Et voici que Zola, à son tour, est inculpé et condamné le 23 février 1898. Un an de prison et 3000 francs d’amende. Une condamnation annulée le 2 avril. La Cour d’Assises de Versailles, qui reprend la procédure le 18 juillet, confirme, pour l’essentiel, la peine précédente. Sur les conseils de ses avocats, Zola choisit l’exil et s’enfuit en Angleterre.
Mois après mois, la destinée de Dreyfus croise celle de Zola. Pour le pire et pour le meilleur.
La lecture des lettres de l’écrivain met en évidence la force de sa conviction. Pas de demi-mesure. Les mots sont durs, tranchants. L’ennemi, parce qu’il est aussi l’ennemi de la France, qu’il la déshonore, ne mérite aucune circonstance atténuante. Tout au long de ces belles pages, Zola parle avec son cœur, certes, mais surtout avec ses tripes.
L’introduction, signée Alain Pagès, professeur à l’université Paris-Sorbonne, est en même temps une chronologie utile à la compréhension des faits et la post-face de Jean-Louis Lévy, petit-fils d’Alfred Dreyfus, en mettant l’accent sur l’asymétrie du couple, à priori improbable, Zola - Dreyfus, insiste sur le fait encourageant qu’ « en dépit de ses infinis détours, la justice est plus forte que l’injustice ».
Des documents historiques essentiels et précieux, comme l’intégralité de l’arrêt de la Cour de Cassation en date du 12 juillet 1906, et un portfolio iconographique, complètent l’ouvrage. Très intéressant.

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Dilecta. Février 2006. 288 pages. 17€
Notes :
(1) Alfred Dreyfus. Cinq années de ma vie. Éditions Stock. 1898. Lettres d’un innocent. Éditions Fasquelle. 1901.
(2) Mathieu Dreyfus. Souvenirs. Éditions Grasset.
(3) Georges Clemenceau. L’iniquité et articles divers dans L’Aurore. Éditions Stock. 1899.
(4) Jean Jaurès. L’Affaire Dreyfus.
(5) Bernard Lazare. Une erreur judiciaire. Éditions Stock. 1897.
(6) Jean-Denis Bredin. L’Affaire. Éditions Julliard. 1984.
(7) Claude Dufresne. Moi, capitaine Dreyfus. Éditions Challenges d’aujourd’hui. 1994.