On a parlé de haine de soi juive, de masochisme voire de jouissance masochiste, de politesse du désespoir…
Gérard Rabinovitch se veut prudent, voire critique sur ces approches : « Identifier dans l’humour juif un unique fil doloriste, et le grossir jusqu’à la taille d’un câble porteur, comme il est fait d’ordinaire par trop de commentateurs, pourrait ne pas être qu’une erreur de lecture, mais aussi une faute d’entendement ». Ce serait, nous dit l’auteur, passer à côté du lien qui raccorde l’éthique juive aux objections interprétantes de la vie que porte en lui l’humour juif.
En fait, force nous est de constater qu’il n’y a pas « un » humour juif, mais plusieurs qui se conjuguent en fonction de l’origine des locuteurs : monde yiddish, Afrique du Nord, aire judéo-espagnole…Sans oublier, à côté de l’humour juif, « l’humour des Juifs ».
L’humour juif remonte aux temps les plus reculés de l’aventure humaine du peuple juif. Ne raconte-t-on pas que Rabba, l’un des maîtres du Talmud, commençait toujours son enseignement par une bonne blague, une mila débdi’houta, sorte de mise en bouche introductive avant des débats plus sérieux. Et, plus tard, comme en écho, ces mots de Rabbi Pinhas de Koretz : « Les choses réjouissantes viennent du Paradis, y compris les bons mots ».
In fine, sort-on de la lecture de la première partie de ce livre et avant de savourer le recueil d’histoires qui suit, avec une idée plus claire sur l’humour juif, cet « art de l’esprit » selon notre auteur ? Retenons ces deux propositions : « À la fois anthropologique et sociologique, philosophique et sémantique, c’est le cantique populaire et profane d’un humanisme conséquent, amant de la vie, qui capte l’ambivalence humaine et les détresses de l’homme. Joyeux et désenchanté, joyeux parce que désenchanté, il est, comme tout art véritable, une forme de pensée, une manière de connaissance » . Ou encore : « L’humour juif, comme tout humour authentifiable, est un art contributif au discours de la sagesse. Il en est l’un des sanctuaires portatifs. Il indique toujours le vieux sentier de la Loi, dans des plaines régulièrement en proie aux incendies de la barbarie ».
Excellent travail, donc. On pourra regretter toutefois que ce florilège impressionnant contienne relativement peu d’histoires d’Afrique du Nord.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Bréal. Novembre 2009. 208 pages. 16 euros
(1)Judith Stora-Sandor. L’humour juif dans la littérature. De Job à Woody Allen. Éditions des PUF. 1984
(2) Le dernier en date, à notre connaissance est celui de Philippe Lellouche, J’en ai marre d’être juif, j’ai envie d’arrêter. Éditions Le Cherche Midi. 2008 (Voir notre recension du 12-01-2010). Signalons aussi, de Moïse Rahmani, Tu choisiras le rire. Éditions Pascal, 2008 avec des dessins de Richard Kennigsman. Ou encore : Henry Bulawko. Anthologie de l’humour juif et israélien. Éditions Bibliophane. 1988, Yves Azeroual. Petites blagues entre amis. Sur la vie de mon fils. Éditions First. 1999, Richard Zéboulon. Petite anthologie de l’humour juif. Opus 1. Éditions Le Bord de l’Eau. 2005 (Voir notre recension du 20-12-2005) et Opus 2. 2006 (Voir notre recension du 05-10-2006).