A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 10 Mars 2008

Comment je suis devenu Français Par Jacqueline Remy (*)

Vingt personnalités françaises d’origine étrangère ouvrent leur porte et leur cœur à l’auteur, ancienne rédactrice en chef de L’Express pour narrer le cheminement qui les a amenées à intégrer complètement le pays qu’elles ont choisi et où elles ont décidé un jour de vivre, la France.


A l’heure où l’identité française fait débat, où les questions d’immigration font l’objet de controverses, le témoignage de ces vingt « héros » aux destinées aussi riches que diverses est une contribution précieuse à la compréhension du phénomène essentiel qu’est la constitution, au fil des ans, du tissu national, en perpétuel renouvellement. En France vivent 63 millions de personnes dont 5 millions d’étrangers et il n’est pas inutile de rappeler qu’aujourd’hui, un Français sur cinq a un ancêtre proche non-Français.
D’origine algérienne, membre du Conseil supérieur de l’Audiovisuel, Rachid Arab, avoue : « Je me sens fortement kabyle, berbère » et il précise : « Je ne suis pas arabe, ni culturellement, ni génétiquement ». Le dessinateur Enki Bilal qui a consacré dix années de travail pour produire sa tétralogie Le Monstre inspirée par les horreurs du conflit yougoslave s’insurge : « On m’a traité de proserbe…Je ne suis pas serbe, je suis musulman ». Et dans une pique à l’adresse d’Alain Finkielkraut : Il « se trompe en traitant les Croates d’agneaux : ce sont des nazis ».
Directement ou indirectement, nombre des personnes interrogées se rattachent au judaïsme. Ainsi Jane Birkin, qui raconte : « Et parce que la famille de Serge [Gainsbourg] a changé ma vie, par cette façon orientale, magnifique, simple, qu’ils ont eue de nous accueillir avec ma fille Kate, comme si nous étions des leurs ». Et à propos des heures sombres de la Shoah et de l’action des Justes : « Je l’ai su par Jacqueline, la sœur de Serge, qui a été cachée dans un couvent pendant la guerre, parce qu’elle était juive. J’ai su aussi qu’il a eu des professeurs qui ont mis leur vie en péril pour cacher Serge. J’ai su enfin que la préfecture de Limoges, des Français donc, a signé l’arrestation des parents de Serge ». Quel beau mélange que la vie, semble dire Jane Birkin. John Barry, le père de Kate était catholique irlandais. Serge, lui, était russe, juif, mais laïc. Lou, sa deuxième fille a quelque chose d’espagnol. Quant à Charlotte, elle « a une beauté, un secret, de la pudeur, quelque chose de privé qui lui vient de son père ». Une véritable apologie du métissage dans ce qu’il a de meilleur.
Ainsi, également Marcela Iacub, chercheuse au CNRS qui aime dire « Je suis presque un modèle sarkozien de l’intégration ». Pourtant, le passé familial pèse sur elle : « Mes grands-parents venaient des pays de l’Est, de la Russie, de la Pologne, ils ont fui le nazisme peu avant la Seconde Guerre mondiale. Quand ils ont voulu faire venir leur famille en Argentine, c’était trop tard. Beaucoup de leurs proches ont été tués par les nazis ». Et Marcela Iacub d’évoquer ses parents, de sa mère d’origine russe qui parlait le yiddish. « Elle et mon père étaient communistes, antisionistes. Ses parents avaient vécu en Pologne, fui la misère. C’était dur pour les Juifs dans les pays de l’Est. Ils vivaient comme des parias. Ils ont émigré en Argentine ». Quand vient le moment de créer un couple, « elle se choisit un amoureux assez chauvin, presque franchouillard, Un Français camembert…D’autant plus qu’il était juif. Il n’y a pas plus français qu’un juif français ».
MK2, vous connaissez ? Les cinémas. MK2 comme Marin Karmitz, né à Bucarest en 1938 au temps où sa propre nurse a été déportée pace qu’elle travaillait pour des Juifs. La famille Karmitz a quitté le pays en 1947. Un père polonais, une mère syrienne. A la maison on parle le roumain. Les Juifs sont alors interdits d’école. Marin Karmitz raconte : Pendant la guerre, nous avons survécu parce que mon père et ses frères faisaient partie des chefs de la communauté juive et échangeaient des camions de chaussures, de médicaments, de vêtements, contre la vie de Juifs ». Un jour, les sinistres Gardes de Fer soupçonnent le père de Marin d’avoir fourni le vitriol qui a servi à assassiner l’un des leurs. Un milicien brandit un pistolet sur la tempe de Marin pour faire parler sa mère. A quarante, toute la tribu des Karmitz préfère fuir. Istanbul, Haïfa, Marseille, Nice, Lyon, Paris. Naturalisé en 1957, Marin a dix-neuf ans quand il se fait jeter du Parti communiste. Depuis, il s’est rapproché du judaïsme : « Le judaïsme est une étude qui permet aussi une actualisation permanente de la pensée la plus ancienne, inscrite dans une histoire, un lieu ».
Petit Juif né sur le territoire libyen, né à Benghazi en 1937, dixième enfant de sa famille le grand pédiatre Aldo Naouri, qui a émigré en Algérie avant d’atterrir en France raconte comment, dans sa famille où on parlait le dialecte judéo-libyen, « le 14 juillet était considéré comme plus important que le Yom Kippour ». Pour lui, siffler La Marseillaise est un acte impardonnable. Et il rappelle ce qui est dit dans les synagogues tous les jours lors des prières : « Le pays qui t’accueillera, c’est ta loi. Ce n’est pas à lui de s’adapter à toi, mais à toi à t’adapter à lui ». Il a épousé une femme d’origine russe et l’une de ses filles est l’écrivaine Agnès Desarthe.
Née au Sénégal, l’actuelle secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l’Homme, Rama Yade observe qu’elle est « jeune, femme, noire et musulmane, c’est dire si elle cumule ». Et elle ajoute : « De plus mon mari est ashkénaze et socialiste. Tout le monde s’y perd ! ».
Journaliste à Libération, Robert Maggiori, le petit Rital, aime dire qu’il s’est marié avec une femme dont le père est russe et la mère suisse allemande. « L’un de mes enfants a épousé une Juive, l’autre quelqu’un de Centrafrique ». Il considère qu’il ne sera vraiment français que quand il aura quelqu’un à aller voir au cimetière. Une façon de voir que partage la comédienne d’origine malienne, Aïssa Maïga : « Au moment de l’enterrement de mon petit frère Antonin au Père Lachaise, j’ai compris que j’appartiens vraiment à ce pays ».
On découvrira aussi avec bonheur Roxana Maracineanu, la coqueluche des bassins olympiques, venue de Roumanie, la championne d’athlétisme venue de Somalie, Safia Otokoré, qui avoue avoir découvert le racisme en Afrique et non en France (« A Djibouti, les gens disaient que les Blancs sont des merdes, les Arabes encore pires, et les Noirs des nègres »), le footballeur zaïrois Rio Mavuba, le champion de boxe Mahyar Monshipour, pour lequel « Ahmadinejad est un crétin, un petit curé de campagne ». Plus chauvin que chauvin, il a la rage d’être français et se déclare favorable à des conditions drastiques pour l’acquisition de la citoyenneté française, François Cheng, d’origine chinoise, écrivain subtil et académicien, Grand Prix de la Francophonie, Bounmy Rattanavan, le directeur général des Frères Tang, Chinois d’origine, Laotien de naissance, qui figure parmi les deux cents Français les plus riches du pays, l’astrophysicien Hubert Reeves qui nous vient du Québec, Mercedes Erra, patronne de la célèbre agence de publicité BETC Euro RSCG, venue de Catalogne qui n’hésite pas à affirmer : « Et qui est plus français qu’un Français ? Nous, le peuple des immigrés intégrés », la philosophe d’origine bulgare, Julia Kristeva, qui raconte qu’elle eut l’imprudence, un jour, à Sofia, de commenter les écrits d’un journaliste juif, Albert Cohen, ce qui lui valut d’être traitée d’agent de la CIA et du sionisme international, l’historien venu également de Bulgarie, Tzvetan Todorov. Sans oublier notre Sylvie Vartan nationale, Bulgare, elle aussi.
Des tranches de vie très agréablement narrées. Un ouvrage très détendant.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions du Seuil. Octobre 2007. 264 pages. 17,50 euros.