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Publié le 31 Janvier 2011

Contes philosophiques de la diversité, par Evelyne Lagardet et Michel Tubiana (*)

Dans un premier roman très prometteur, « Un rêve français » (1), Evelyne Lagardet , à travers les tribulations de son héros, Robert, dit Bohor, nous avait offert une opportunité de mieux connaître les riches heures du judaïsme « turc espagnol ». C’est dans un tout autre domaine qu’elle se lance avec son deuxième livre consacré au thème de la diversité. Un ouvrage qu’elle cosigne avec l’ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme, Michel Tubiana.




Pour sensibiliser le public et, surtout, la jeunesse française, à la question des discriminations, Evelyne Lagardet a choisi de nous raconter trois histoires exemplaires. La première, « Le pays d’Anor », nous parle du conflit entre deux frères, Normos, tyran capricieux qui régnait autrefois sur le pays d’Anor et Théos. Tout oppose les deux frères aux caractères très différents. Tandis que Théos jouit de tout, suscitant autour de lui l’amitié et l’amour, Normos, morose, n’essuie que rebuffades. L’un, Théos, est obèse, l’autre, Normos, est filiforme. Dès lors, Normos, dans sa détestation, va se lancer dans un véritable massacre de ceux qui ne sont pas semblables à lui. Dans « L’île aux Terriens », c’est un monde terrifiant que l’on découvre, un monde structuré en communautés, les homosexuels hommes, les homosexuels femmes, les grandes oreilles, les yeux bleus…Un monde où les enfants, produits par des géniteurs, sont confiés, selon la demande, à ceux qui seront leur parents. Un monde où la dotation en années des individus est fixée par avance et où la mort est programmée et donnée à date fixe. Le tout sous l’autorité d’un Grand Décideur. Il faudra bien du courage et de la ténacité à Tildé et à Eole, à Sienne et à Argile, pour contourner les obstacles et retrouver « un monde où chacun avait le droit d’être ce qu’il était ». Enfin, avec « Conte d’école », on est plus près des préoccupations actuelles de la société française. Un collège dans une banlieue résidentielle avec les problèmes classiques de refus de l’autre : le Juif, l’Arabe, le Noir, l’Asiatique. Les aventures et les mésaventures d’un jeune cambodgien, Ly, recueilli par une famille bien française, les Beaumont, est l’occasion de réflexions sur le racisme au quotidien.



L’ensemble est agréablement écrit, avec une pointe d’humour et des notes toujours bienvenues.



C’est à Michel Tubiana qu’il revient, dans un glossaire conclusif, de tirer les enseignements politiques de ces trois contes avec un texte final de dix pages. On connaît les positions, pas toujours très tendres du président d’honneur de la LDH à l’égard d’Israël. Son explication sur le sionisme est cependant relativement modérée : « En diaspora, c’est-à-dire dispersés à travers le monde (comme les Arméniens, les Palestiniens ou d’autres encore), une partie des Juifs ont souhaité créer un État. Cette volonté de vivre en tant que nation s’est exprimée au travers d’une doctrine qu’est le sionisme. Tous les Juifs n’ont pas participé à ce mouvement, pas plus hier qu’aujourd’hui. On ne saurait donc assimiler les Juifs qui vivent ailleurs qu’en Israël à la politique de cet État, lequel fut créé en 1948 en Palestine, par une décision des Nations unies. Vivaient en Palestine des Juifs et des Arabes chrétiens ou musulmans. Le partage de ce territoire entre Juifs (y vivant déjà ou venus s’y installer) et Palestiniens Arabes a généré un conflit qui dure encore aujourd’hui. C’est l’absence d’État palestinien et l’occupation des territoires où il devrait exister qui conduit à la poursuite du conflit ». La vérité est bien sûr, tout autre. La source du conflit, c’est le refus palestinien et arabe de la décision de l’ONU et l’attaque armée du jeune État d’Israël. La source des malheurs des Palestiniens, c’est le refus obstiné de leurs dirigeants d’accepter l’idée qu’un « État juif », selon les termes mêmes de la résolution des Nations unies puisse exister sur la terre même qui vit naître le peuple juif bien avant que des Arabes s’y installent. Autre déformation dans les propos de Michel Tubiana, celle concernant l’antisémitisme. « Au sens strict, l’antisémitisme exprime la détestation des peuples sémites dont les Juifs ne sont pas les seuls représentants. Les Arabes du Proche-orient sont aussi des Sémites ». Définition bien pratique puisqu’elle permet d’exonérer le monde arabo-musulman de tout antisémitisme. C’est oublier le statut infamant de la dhimma en terre d’islam (évoqué en note, toutefois, dans le conte « L’île aux Terriens ») (2). En fait, le concept d’antisémitisme a été forgé par le journaliste allemand Wilhelm Marr (1819-1904) et ne concerne que les seuls Juifs. L’antisémitisme, c’est la haine des Juifs, pas celle des Sémites. Et le Grand mufti de Jérusalem, Hadj Amine El Husseini, allié d’Hitler, bien que sémite, aura été l’un des plus grands antisémites des temps modernes.



De jolies histoires, donc, et, en toile de fond, des sentiments très louables, mais le glossaire final laisse quelque peu à désirer.



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions Eyrolles. Septembre 2010. 218 pages.
(1)Éditions Flammarion. 2007. Voir notre recension dans la Newsletter du 30-05-2008.
(2)On pourra consulter à ce sujet l’excellent travail de Joël et Dan Kotek. « Au nom de l’antisionisme ». Éditions Complexe. 2003.



Photo : D.R.