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Publié le 26 Août 2008

Dans la véranda Par Albert Bensoussan (*)

Albert Bensoussan est un remarquable conteur. Drôle, fin, ciseleur du langage, il aime jongler avec les mots. Il l’a récemment montré aux 2èmes rencontres du judaïsme francophone à Nétanya où son intervention, haute en couleurs, a ravi l’assistance. Mais c’est à travers l’écriture - il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages - qu’il parvient à nous sensibiliser à son sujet favori : la vie en Algérie d’avant, cette Algérie chérie, Aldjezar, qu’il a quittée en 1963 et qui reste, omniprésente, envahissante même, au fond de son cœur meurtri. Avec « Dans la véranda », on retrouve toute la nostalgie et la tendresse des héros de « Sroulik » (1), mais en version originale, loin des Ashkénazes et de l’invasion « tune », au sein de la mère patrie revisitée.


« J’ai passé les vingt-six ans de ma première vie dans la véranda. Et après bien des frimas et les volutes du temps qui me sont tombés dessus comme une chape d’oubli, voilà qu’à la faveur d’un dépressif ennui qui m’a laissé sans voix ni loi, mais non sans images, avec même un afflux de couleurs qui rachetaient toute cette grisaille, je redécouvre enfin cette modeste esplanade, au carrelage frais la nuit et doré sur tranche à midi ».
Les frimas, c’est à Rennes où il habite désormais que Bensoussan les ressent. La véranda, c’est l’enfance au soleil. Papa, assis à son bureau plongé dans ses psaumes hébraïques, les Tehilim, le petit Albert grattant sur son cahier à l’aide d’une plume Sergent-Major, le tiroir secret où était pieusement rangé le pistolet datant de la Guerre, les jumelles avec lesquelles on pouvait lorgner discrètement les fillettes de la villa mauresque ou tomber providentiellement sur la voisine, Madame Boconfuso sur le point de se faire trucider par son mari jaloux et violent. Et maman, pendant ce temps, vaquait à ses fourneaux d’où émanaient les senteurs du kemoun et du keurkeub, du skin-djebir et de la lkirfa.
Quand il ne fallait pas se mêler des affaires des grands, la sentence tombait, implacable :
-Bébert, va jouer dans la véranda ! Et comment qu’il y allait, Bébert. Et vite, avec son kaléidoscope tout en écoutant la bonne, Saoudène Tassadit alias Fatie, Fatma, quoi, comme toutes les bonnes en Algérie à l’époque. Fatie raclant son moulin à café en chantant à tue-tête Ouna flor ochapo allah boush ouné shanson…
Bensoussan, du coin de sa véranda où il faisait bon déguster une citronnade fraîche, nous décrit les personnages truculents de son enfance : Augustine Champagnat, la veuve Baudoin et sa fille, qui, parfois, « excédée par ses cris de folle, la prenait par la taille et allait l’enfermer au sous-sol, dans la cave où elle pouvait hurler des journées entières sans plus rameuter tout le quartier », l’insaisissable Fernand Beau, Lili Labassi, le hazan du Grand-Temple de la rue Randon, les Mignard et le père Ubanski, Maître Ourari de la rue Mogador et Suzanne, dite Suse ou encore Sucette, la petite Amato.
Et puis un jour, la guerre. Le temps des « rebelles algériens, fellaghas, fells ou fellouzes ». « Là-dessus, l’Indépendance arrive, puis Ben Bella, condamné à une précoce chute, et puis Boumedienne, et puis…et puis l’exode du dernier carré des fidèles ». Les graffitis pleuvent « L’OAS frappe quand elle veut, où elle veut », « FLN vaincra », « Algérie française, « Algérie algérienne »
La famille vit désormais dans la peur et la véranda devient une véritable tour de guet. « La nuit qui précéda le 1er novembre 1961, je ne pus fermer l’œil : les explosions sporadiques se multipliaient dans toute la ténébreuse ville de terreur ». « A 8 heures, j’étais fin prêt : ma petite valise avec juste du linge de rechange et beaucoup de livres… ».
Très belle contribution à la nostalgérie juive.

Jean-Pierre Allali

(*) Encres de Michel Tyszblat. Editions Al Manar. Novembre 2007.104 pages. 18 euros
(1) Sroulik . En collaboration avec Nicole Madar. Editions Maurice Nadeau. Juin 2006.