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Publié le 22 Juillet 2010

Des poules et des gâteaux, par Carine Tardieu (*)

La publication d’ouvrages destinés à la jeunesse nécessite, par définition, d’infinies précautions. Bien plus que l’adulte, l’enfant et l’adolescent sont très perméables à des discours de propagande ou, plus simplement, à des énoncés imprudents. La chose est encore plus patente quand il s’agit de traiter d’Israël ou du monde juif. C’est ainsi que dans le petit livre, au demeurant fort sympathique et agréablement illustré de Carine Tardieu, un sentiment de gêne apparaît parfois. C’est l’histoire de Nathan, un petit garçon qui vit dans une famille juive assimilée qui gère un élevage avicole. Des dizaines de milliers de poussins. « J’ai jamais trop compris ce que ça voulait dire pour nous, être juifs. Parce que si on ne célèbre pas Noël, on ne respecte pas plus les fêtes traditionnelles juives. On ne jeûne pas le jour du Yom Kippour, on ne mange pas de pain azyme la semaine de Pâque, on n’allume pas les bougies à Rosh Hashana (sic). De toute façon, tous ces rituels, on ne sait même pas à quoi ils correspondent. D’après maman, on fait partie du peuple juif, mais on n’est pas de religion juive, ce n’est pas la même chose. On est des Juifs laïcs français… ». Cela n’empêche pas la famille, à l’occasion, de demander à un rabbin-mohel de pratiquer la circoncision des nouveau-nés de sexe masculin, de réciter le kaddish aux enterrements et de conserver, en bonne place, un chandelier à sept branches.




La question de la transmission de la judéité par la mère dont on sait qu’elle est consécutive à des circonstances historiques du temps de l’occupation par les Romains de la terre d’Israël, est présentée comme un commandement divin : « Quand même, songe Nathan, cette transmission de la judaïté par la mère, ça me chiffonne. C’est pas héréditaire, comme la susceptibilité de mon père ou les pieds plats de ma mère dont j’ai malheureusement hérité, c’est une loi de Dieu… ».



Les rapports Juifs-Non-juifs sont traités un peu lapidairement. Qu’on en juge : « Si dans l’Histoire, Les Juifs ont subi toutes sortes de persécutions et se sont souvent situés du côté des victimes et des exclus, ça ne fait pas d’eux des anges et des rois de la tolérance pour autant. Certains d’entre eux appellent les non-Juifs « les goys » et ça n’a rien de cordial ». Rien de cordial, c’est un peu fort ! « Goyim », en hébreu, cela veut dire « les peuples ». Le mot n’a rien de péjoratif ni de méprisant. Il désigne, effectivement, les personnes qui ne sont pas juives. On est loin des vocables comme « infidèles » ou « dhimmis » utilisés dans d’autres circonstances.



Tout compte fait, Nathan n’est pas très heureux d’être juif : « J’en ai marre des Juifs, j’en ai marre d’être juif et que ça me prenne la tête. Je ne souhaite pas vraiment à mes enfants de l’être, et d’ailleurs, c’est décidé : je ne me marierai jamais avec une femme juive et ça réglera le problème ». Délires d’enfant, certes, mais il faut se poser la question de savoir comment un petit lecteur « goy » percevra ces réflexions. Quant au petit lecteur juif « classique », il risque d’être un peu déboussolé. En fin d’ouvrage, les choses s’apaisent quand la famille, au grand complet, déguste le strudel confectionné par la mère-grand. La recette de l’Apfelkuchen est proposée en annexe, avec l’accent yiddish, s’il vous plait. L’un des derniers dessins nous montre Nathan soulevant son héritage juif avec difficulté. Il y a là les rouleaux de la Thora, Rabbi Jacob, des chandeliers, un taleth, Woody Allen, le Temple de Jérusalem et des drapeaux d’Israël. Dur, certes et lourd à porter mais pour la grande majorité du peuple juif, un héritage si riche et si plein d’espérances.



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions Actes Sud Junior. Février 2010. Illustrations d’Agnès Maupré. 72 pages. 7 euros