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Publié le 24 Novembre 2005

Dieudonné, compagnon de route des islamistes ?

C’est l’hypothèse soulevée dans le livre de la journaliste Anne-Sophie Mercier « La vérité sur Dieudonné » (Plon) que l’humoriste a tenté de faire interdire.



Première véritable enquête sur « le cas » Dieudonné, le livre d’Anne-Sophie Mercier mérite d’être lu attentivement. Pendant un an la journaliste d’Arte a cherché à comprendre. Elle s’est plongée dans les archives, a lu ou écouté tout ce que Dieudonné avait pu dire ou écrire sur tous les sujets. Elle a rencontré ceux qui avaient côtoyé « l’humoriste » à différentes périodes de sa carrière, interviewé ses anciens amis et ceux qui continuent à le soutenir. Ceux-ci ne pourront d’ailleurs reprocher à l’auteur son manque d’objectivité. En décembre 2003, lors du scandale suscité par le sketch du juif orthodoxe faisant le salut nazi sur France 3, Anne-Sophie Mercier avait au contraire défendu publiquement Dieudonné sur l’Antenne de RTL « au nom de la liberté d’expression ». Par ailleurs, la journaliste ne s’était jamais auparavant distinguée par une sympathie particulière à l’égard d’Israël. « La critique d’Israël, même violente, n’a jamais été taboue pour moi » prend-elle soin de préciser dès les premières lignes de son ouvrage.

Et pourtant, c’est en visionnant quelques semaines après le spectacle « Mes excuses » qu’Anne Sophie Mercier reconnaît ressentir « un profond malaise » face aux dérapages de l’artiste. « Et si les détracteurs de Dieudonné avaient raison ? » s’interroge la journaliste qui décide de mener l’enquête.

Antisémite, Dieudonné ? Dès les premières lignes, la journaliste répond par l’affirmative. « Dans « Mes excuses », Dieudonné précise sans retenue sa vision du monde. Un monde où les juifs règnent en maître sur la pensée et les discours (…) avec presque toujours la même tactique : éviter de dire « juifs », remplacer par « sionistes ». Et surtout concentre ses tirs sur les Israéliens avant d’opérer en douceur un glissement sémantique qui ne doit rien au hasard ». Mais l’essentiel du livre n’est pas là. Que veut exactement Dieudonné, quelle est son ambition, sa stratégie, ses réseaux ? L’ouvrage apporte un certain nombre de réponses et de pistes. « Si le juif est à ce point présent dans le discours de Dieudonné, c’est parce qu’il est la clé de voûte d’une stratégie politique ambitieuse. Dieudonné n’est plus qu’accessoirement comique. Ce n’est plus un « politicomique » comme a pu l’être Bedos. C’est un politicien. Il cherche à unifier l’ensemble des communautés noires sous son nom. La tache est complexe. Mais l’humoriste vise juste sur un point fondamental : on se structure toujours contre quelque chose ou quelqu’un. La figure du juif esclavagiste, complice de l’apartheid, qui répand le sida en Afrique, est, par rapport au but poursuivi, d’un intérêt certain ».

Manifestement, le discours de Dieudonné, ses accusations délirantes à l’égard des juifs font mouche auprès d’un public noir au sein duquel domine le sentiment de faire partie des laissés pour compte de la société française. Dans ce combat politique, « l’humoriste » dispose d’une véritable base sociale, ainsi qu’on a pu le constater avec les scores de la liste Europalestine sur laquelle Dieudonné a figuré en bonne place en Juin 2004.

2004, c’est, selon Anne-Sophie Mercier, l’année charnière durant laquelle la stratégie de Dieudonné aurait évolué et se serait structurée. Même dans ses sketchs, Dieudo affine son discours et ménage toutes ses clientèles potentielles. Il fait siffler par la salle le mouvement « Ni putes, ni soumises », se fait le défenseur du voile islamique. Sur les plateaux de télévisions, il manifeste son soutien à la chaîne du Hezbollah, Al-Manar. Dieudonné, Compagnon de route des islamistes ? La journaliste n’hésite pas à poser la question en titre de l’un des chapitres de l’ouvrage avant de conclure par l’affirmative : « La convergence entre Dieudonné et certains islamistes est évidente ». A ce stade de l’enquête, la journaliste n’apporte bien sûr pas de preuves formelles mais toute une série d’indices : Des contacts entre Dieudonné et l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), la présence dans son entourage de proches de Louis Farakhan, le leader noir américain fondateur du mouvement extrémiste Nation of Islam, un rapprochement avec l’intellectuel musulman Tariq Ramadan…

Avant même la parution de l’ouvrage, les avocats de Dieudonné ont tenté de le faire interdire avant de demander et d’obtenir de la justice la suppression de certains passages les estimant « injurieux ». Une décision surprenante dont Anne-Sophie Mercier a fait appel. En attendant la conclusion judiciaire de cette affaire, le meilleur conseil que l’on peut donner au lecteur est de lire « La Vérité sur Dieudonné » pour se faire directement et librement une opinion.

Clément Weill-Raynal