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Publié le 8 Février 2010

Entre Jérusalem et Athènes, Benjamin Fondane à la recherche du judaïsme (*)

Sur la façade de l’immeuble du 6 de la rue Rollin, dans le cinquième arrondissement de Paris, une plaque est apposée qui attire le regard du passé. On peut y lire : Benjamin Fondane (Jassy, 1898-Auschwitz, 1944). Poète et philosophe français, habita cette maison du 15 avril 1932 au 7 mars 1944.



Bel hommage de Paris à un personnage hors du commun. Mais qui se souvient aujourd’hui de Benjamin Fondane ? Peu de monde en vérité. Et, surtout, des spécialistes de la Roumanie. Certes, un site Internet, www.fondane, lui est consacré. Tout comme des « Cahiers Benjamin Fondane ». Récemment, au mémorial de la Shoah, à Paris, une exposition sur Fondane a été mise sur pied. Pourtant, ce journaliste, qui fut aussi un poète, un philosophe, un homme de théâtre et un traducteur, hélas trop tôt disparu dans l’enfer de la Shoah, a marqué son temps et son époque. C’est pourquoi il faut être reconnaissant à l’équipe réunie autour de Monique Jutrin d’avoir réuni un véritable florilège des écrits consacrés au judaïsme de ce « Roumain de France ».
C’est à Jassy, en Moldavie, ville tristement célèbre pour le pogrome terrifiant qui s’y déroula en 1941 et qui fit quelque 14 000 victimes (1), qu’est né le 14 novembre 1898, Benjamin Wechsler, fils d’Isaac Wechsler, commerçant, qui décèdera en 1917, victime du typhus et d’Adela Schwarzfeld, descendante d’une éminente famille d’intellectuels juifs. « Je viens, écrivait Fondane, d’une petite ville blanche où pissaient les vaches…ville de petits Juifs accrochés à l’air ».
Très jeune, alors qu’il n’a que quatorze ans, le jeune Benjamin montre des dons remarquables pour l’écriture. Il publie, sous le pseudonyme de B. Fundoianu, du nom du domaine affermé par son grand-père paternel, des poèmes, des traductions et de courts articles sur les sujets les plus divers. Plus tard, B.Fundoianu deviendra Benjamin Fondane.
En janvier 1919, Fondane quitte Jassy pour Bucarest. C’est le début d’une collaboration régulière au journal Mântuirea. Fondane y traite de thèmes juifs et sionistes. C’est dans cette revue que paraissent ses onze essais intitulés « Judaïsme et hellénisme » écrits alors qu’il n’a que 21 ans, essais que l’on retrouve, précisément,entre autre, dans l’ouvrage dirigé par Monique Jutrin.
En décembre 1923, Benjamin Fondane quitte la Roumanie pour Paris. C’est là qu’il écrira l’essentiel de son œuvre. Devenu français en 1938, il sera mobilisé. Fait prisonnier, il parvient à s’évader.
Le 7 mars 1944, il est arrêté par la police française en même temps que sa sœur, Line. Ils sont internés à Drancy puis déportés à Auschwitz le 30 mai. Au début d’octobre 1944, Fondane est assassiné à Auschwitz. Les mots qu’il écrivit longtemps avant, dans Comment je suis né, prennent aujourd’hui un sens terrible : « Heureusement je suis né à Jassy ; si j’étais né à Bethléem, du temps d’Hérode, j’aurais été du nombre des enfants massacrés ».
En 1931, il avait épousé Geneviève Tissier qui lui survivra, mais choisira de finir ses jours dans un couvent. Elle est décédée en 1954.
Pour Monique Jutrin, le judaïsme de Fondane n’était pas « thématique », mais « pneumatique », c’est-à-dire animé par un véritable souffle.
Grâce à Fondane, on redécouvre des penseurs aujourd’hui complètement méconnus et qui eurent leur heure de gloire : Avram Steuerman-Rodion, A.L. Zissu, Léon Chestov et bien d’autres. Dans son étude très pertinente sur la comparaison entre judaïsme et hellénisme, il soutient une thèse séduisante : le judaïsme est préoccupé par la morale et la justice alors que l’hellénisme se soucie de beauté et d’esthétique. « Le Grec veut dominer le monde, le Juif veut l’améliorer. Pour le Grec le monde est. Pour le Juif il sera ». Ou encore : « Pour le Grec, l’acte est dans le monde, pour le Juif, le monde est dans l’acte ». Fondane partage le point de vue de Nietzsche pour lequel la lutte entre la Judée et Rome équivalait en fait à la lutte entre démocratie et aristocratie. En résumé, « le judaïsme recherche la vérité, l’hellénisme recherche le beau ».
De belles pages, souvent prémonitoires, sont consacrées au sionisme. « Maintenant, écrit, Fondane en 1919, trente ans avant la proclamation de l’État juif d’Israël, l’histoire est dans le sang du blé que l’on cultive à nouveau, l’histoire est dans les maisons qui s’exaspèrent dans leur désir de vivre. L’histoire est partout dans ce pays hébreu. Les palmiers eux-mêmes semblent êtres hébreux. De même les chameaux qui transportent les oranges à travers le monde ».
Un livre à découvrir.



Jean-Pierre Allali



(*) Textes réunis par Monique Jutrin. Éditions Parole et Silence/Lethielleux. Septembre 2009. 270 pages. 22 euros
(1) On pourra consulter à ce propos le remarquable ouvrage de Matatias Carp, Cartea Neagra. Le livre noir de la destruction des Juifs de Roumanie. 1940-1944. Éditions. Denoël. 2009.