Dans une première partie, l’auteur, qui n’oublie pas de rappeler le fameux interdit biblique de la représentation d’une part et le fait, d’autre part, que le Temple de Salomon n’a pas été construit par des Hébreux mais par des Phéniciens, remonte le temps pour déceler le moment où, à l’époque moderne, cette notion d’art juif a commencé à apparaître. Pour lui « La concomitance de l’ouverture d’un « musée judaïque » au Louvre (1853) et des premières Études sur l’art judaïque de Félix de Saulcy (1853) avec le projet historique de Heinrich Graetz (1817-1891) qui publie le premier volume de son Histoire des Juifs dans cette même année 1853, ne saurait être fortuite ».
Plus tard, à l’Exposition Universelle de 1878 est présentée la fameuse collection Strauss. Entre 1890 et 1920, on assiste, en Russie, à une effervescence artistique exceptionnelle chez les Juifs. À Paris, en 1924, une première exposition d’artistes juifs a lieu dans les salons du Cercle Salonicien. Sans oublier, en 1906, la création par Boris Schatz (1866-1932) de l’école Bezalel en Palestine.
En 1925, Le Mercure de France lance un débat : Existe-t-il une peinture juive ? La même année, dans Greenwich Village est fondé un Jewish Art Center. Plus près de nous, à Paris, en 1951, un groupe, les Irascibles, se constitue, comportant plusieurs artistes juifs. En 1955, la Revue du FSJU se pose la question : « Y a-t-il un art sacré juif ? » et L’Arche, en 1961 (n°55-56), consacre une table ronde au thème : « Existe-t-il un art juif ? ».
S’il est vrai que cette dénomination d’ « art juif » est délicate, car on peut se demander, par exemple, si Raymond Moretti, peintre non-juif de thèmes juifs, peut y être intégré, s’il est vrai aussi, que certain abus sont commis par des commentateurs, qui cherchent à tout prix, sous prétexte d’une vague filiation juive, à incorporer tel ou tel artiste au champ judaïque, on pourrait, tout compte fait, accepter la définition que proposent Matthew Baigell et Milly Heid dans leur livre Complex Identities : « Les rédacteurs entendent par art juif un art créé par des artistes juifs où l’on peut trouver des aspects de l’expérience juive, qu’elle soit religieuse, culturelle, sociale ou personnelle ». On peut aussi considérer comme noble et raisonnable l’idée véhiculée en son temps par le critique d’art russe Vladimir Stassov d’une « idéologie fondée sur l’idée que l’art juif n’existerait au sens plein que lorsque les Juifs auraient retrouvé leur terre ». Quoi de plus normal, en effet que de considérer l’émergence d’un État juif en terre d’Israël comme l’opportunité d’une sublimation finale des arts juifs ! Cette idée de « Renaissance juive », qui fut partagée en son temps, par Martin Buber, déplait profondément à Dominique Jarrassé et les propos qu’il tient sont difficilement soutenables. Qu’on en juge par ces quelques exemples : « Avec le sionisme et ses critères ouvertement biologiques », « L’annexion par les auteurs sionistes va reposer non seulement sur un usage immodéré de la catégorie raciale « artistes juifs » », « La logique généalogiste israélite, relayée par l’idéologie raciale sioniste, a orienté cette partiale histoire de l’art », « D’inspiration israélo-américaine, la démarche tente à amplifier le principe sionisant et à redorer son blason en jouant le critère de l’ethnicité ».
Balayant les concepts selon lui fallacieux d’ « École de Paris » ou d’École de New York » car il estime que dans les deux cités, « les artistes dissocient largement leur appartenance religieuse, leur participation à des cercles juifs de sociabilité et même parfois leurs travaux effectués dans le cadre communautaire, d’une revendication ou d’une recherche d’art juif. La notion est totalement absente de leurs discours », tirant à boulets rouges sur les « manipulations opérées par les marchands pourvoyeurs de judaïca », l’auteur, à notre sens, s’égare un peu.
Une dernière critique, enfin : la couverture de l’ouvrage. Austère, voire triste, elle ne correspond en rien au sujet traité et n’attire pas le lecteur. Intéressant, donc, mais critiquable sur de nombreux points.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Biro. Février 2006. 232 pages. 22€