A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 8 Mars 2004

France, prends garde de perdre ton âme, d’Emmanuel Brenner (Ed Mille et une nuits)

Dans un premier livre, paru en 2002 chez le même éditeur, Les Territoires perdus de la République, Emmanuel Brenner et un groupe de professeurs de l’enseignement secondaire rapportaient des témoignages accablants sur l'antisémitisme, le racisme et le sexisme qui sévissent en milieu scolaire, mais aussi sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans leurs classes face à la violence et à l’intimidation devenue monnaie courante. France, prends garde de perdre ton âme... est la suite logique de ce premier ouvrage. Brenner tente en effet d’y dégager les causes profondes des dérives constatées.




Partant de l’analyse de sociologues comme Stéphane Béaud et Michel Pialoux, il s’accorde avec eux sur le fait que « le semi-échec de l’intégration a généré au fil des années quatre-vingt-dix des comportements provocateurs et hostiles à ce qui symbolise l’institution et la loi » d’autant que «Le piétinement scolaire et social d'un grand nombre de garçons éduqués dans la certitude de privilèges qui leur seraient dus par attribution de naissance, écrit-il, se mue en violence contre les filles, les femmes, les homosexuels et les Juifs.» et les laisse face à un vide dans lequel s’engouffrent des Imams prêchant un Islam extrémiste.


Mais, remarque-t-il, outre que l’immigration en France ne se résume pas aux arabo-maghrébins - d’autres groupes d’immigrés arrivés sensiblement en même temps et vivant les mêmes difficultés se sont eux beaucoup mieux intégrés et en tout cas sans violence – pourquoi cette violence se tourne-t-elle contre les Juifs ? L’explication courante qui lie ces violences à l’Intifada est d’autant moins satisfaisante, nous dit-il, qu’il faut remonter au moins à la première guerre du Golfe pour en retrouver les débuts. On ne peut donc pas faire l’économie d’envisager des facteurs intrinsèques et culturels, même si le mot fait peur et l’hypothèse parfois connotée comme raciste.


Ces facteurs « intrinsèques » - qui sont à l’œuvre de façon inconsciente même chez ceux qui ignorent leur propre culture - l’auteur les trouve d’abord dans «L'image coranique du juif », aggravée par l'intégrisme moderne qui prétend que « les juifs, depuis le VIIe siècle, auraient été les ennemis résolus de l'islam. Et qu'ils le demeureraient aujourd'hui par l'État d'Israël interposé.» Pour lui, le monde musulman ne tolère les Juifs qu'en dhimmi (protégés), cantonnés dans un statut inférieur. Il dément le mythe selon lequel les rapports entre Juifs et musulmans dans le monde arabe auraient été idylliques et témoigne de ce que les incidents antisémites y étaient fréquents avant même la naissance de l’Etat d’Israël. Il note que c’est de Bagdad que vient l’idée en 857 de la « rouelle » comme signe distinctif pour les Juifs. Il évoque les pogroms des années 1930, il rappelle aussi que « lors de l’été 1940 (…) les pachas interdirent aux Juifs l’emploi de domestiques musulmans. Qu’à Mekhnès, dès le mois d’août 1940, s’appuyant sur le régime de Vichy, les commerçants musulmans exigèrent qu’on fermât aux Juifs le souk al-Attarin », qu’en Tunisie des violences anti-juives eurent lieu avant même l’arrivée des Allemands.


Il convoque aussi les facteurs liés à l’histoire propre du Maghreb - et de l’Algérie en particulier - d’où viennent la majorité de ces immigrants. Parmi les éléments de ressentiment, le moindre n’est pas le décret Crémieux de 1870 qui donnait la nationalité française aux Juifs algériens et non aux musulmans et dont le traumatisme qui n’aurait pas été dépassé pourrait expliquer que l’on ne pardonne pas aux Juifs d’être mieux « intégrés ».


L’auteur pointe surtout la responsabilité d’une certaine idéologie française dans le fait que l’on ait laissé s’installer ce climat. La principale responsabilité reviendrait à la disqualification en France, depuis la dernière guerre, de l’idée nationale. Pour lui, « la dérive antisémite traduit le piètre état de la démocratie française (…) En confondant Nation et nationalisme, l’identité nationale, déjà disqualifiée par Vichy a de plus en plus souvent été laissée au Front National. (…)L’antiracisme universaliste, qui a fait du métissage l’antidote absolu au retour de la barbarie, est devenu fédérateur des illusions perdues. Mais cet anti-racisme est dissocié de la lutte contre l’antisémitisme dès lors que le Juif-sioniste-israélien (…) ne correspond plus à l’image de victime éplorée qu’on attend du juif ». Responsable aussi « le contexte médiatique » qui « a conforté la stigmatisation d’Israël, puis par extension celle des Juifs sommés de prendre leurs distances avec l’Etat Félon », stigmatisation qui s’accompagne d’une « extériorisation » par le fait que l’on renvoie dos à dos les « immigrés » et les Juifs comme si ceux-ci étaient eux-mêmes des immigrants récents. Il se penche aussi sur l’aveuglement de certains milieux tiers-mondistes incapables de considérer les immigrants en des termes autres que victimaires et pour qui « le sentiment de compassion, en soi positif, est venu se substituer au politique », et sur la responsabilité de « l’ultra-gauche qui voit dans les banlieues françaises un vivier de forces pour demain ». Et parmi cette ultra gauche, il constate la présence de Juifs dont le « mal-être identitaire s’est mué en un discours irresponsable au terme duquel, à leur corps défendant sans doute, ils auront participé au malheur des Juifs dans notre pays ». Ceux-ci se sentant à nouveau non plus « juifs de France », mais « Juifs en France » sont de fait « dénaturalisés ». Pour lui, il est urgent de rappeler que « La Nation est ce pacte civique qui nous fait partager des valeurs et un avenir qu’on croit commun ».