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Publié le 1 Février 2006

Guérir de l’antisémitisme. Pour sortir de la condition post-nazie (*) Par Gérard Huber

Disons-le tout de go : voici un livre particulièrement intéressant mais difficile d’accès. Seul le lecteur attentif, qui saura prendre la peine de relire certains passages tout en vérifiant le sens de certains mots pourra tirer profit d’une lecture pleine d’enseignements. Car si le sujet est désormais classique : l’antisémitisme et ses formes les plus récentes, l’approche, elle, est moins courante. Il s’agit d’une lecture psychanalytique d’un phénomène hélas vieux comme le monde et des moyens, eux-aussi puisés dans la psychanalyse, de sortir enfin de ce cauchemar planétaire.


Lorsqu’au lendemain de la deuxième Intifada, émerge en France un antisémitisme d’un type nouveau, qu’une déferlante d’agressions s’abat sur les écoles juives et les synagogues, des directeurs d’établissements scolaires juifs, essentiellement à Marseille et à Sarcelles eurent l’idée de demander à leurs élèves d’exprimer par écrit leurs souffrances et leurs espérances sous forme de lettres ouvertes au président de la République. Cinq cents missives de protestation qui sont autant de témoignage et qui devaient servir de base à la rédaction d’un ouvrage original. Très vite, hélas, il a fallu déchanter, raconte Gérard Huber. « Certains enseignants sollicités, pour qui l’antisémitisme était avant tout une affaire quantitative, physique et politique, décidèrent de nier la plainte de ces enfants désarmés, interprétant leur langue comme le résultat d’une manipulation des parents et des directeurs. De ce fait, le projet tourna court ». Dès lors, explique-t-il, l’idée fit son chemin selon laquelle, « l’unanimité anti-antisémite post-Shoah avait vécu ». L’expression « anti-antisémite » a été créée, en son temps par Friedrich Nietzsche dans une lettre adressée en 1886 à sa sœur Elisabeth, qui se disait antisémite. Un Nietzsche qui avait compris que « l’antisémitisme était l’indice du néant en lui ».
Dans cette étude magistrale où Nietzsche est omniprésent, Freud, Marx, Renan, Lévi-Strauss, Levinas, Yerushalmi, et bien d’autres sont pris à témoin.
« Renverser Nietzsche et retirer Freud furent deux moments intellectuels et politiques dont l’enjeu fut de rendre la langue, l’esprit et le peuple allemand adéquats à la conception du monde nazie dont le moteur était la transformation de guérir de l’antisémitisme en délire de guérir de son anti-antisémitisme ». Tel fut le cheminement mental qui fut imposé par les idéologues national-socialistes. Deux opérations intellectuelles complémentaires pour le passage à l’acte le plus barbare de l’Histoire humaine : la suppression totale du peuple juif de la surface de la Terre.
Le tournant psychique qui est à la source de l’antisémitisme hitlérien et de l’impuissance du monde « civilisé » à s’y opposer, c’est, dit Gérard Huber, la « mutation de l’offrande », une « production historique et sociétale du spectacle total de la mise à mort d’Isaac ». Théorie audacieuse selon laquelle si « la psychanalyse a « oedipisé » le monde, le nazisme l’a « isaacisé ».
De nos jours, sous les habits neufs de l’ « anti-yahoudisme », le relais de l’antisémitisme a été pris par les États où domine l’islam politique.
Il est grand temps, face au retour de l’horreur, de sortir de la condition post-nazie.
L’ouvrage qui est assorti de nombreuses notes très éclairantes, est préfacé par Henry Bulawko avec un avant-propos de Jean Dujardin. Une étude magistrale.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Le Serpent à Plumes. Mai 2005. 432 pages. 19, 90€