L’histoire, celle de ces deux marchands d’arts liés par une amitié fraternelle, commence à San Francisco, le 12 novembre 1932, avec la première lettre où Max raconte sa solitude depuis le départ de son ami qui a décidé de quitter les Etats-Unis pour rentrer à Munich, avec sa femme Elsa et ses enfants. Quelque temps plus tard, Martin devient, pour des raisons autant idéologiques que pragmatiques, sympathisant du parti national-socialiste et de sa nouvelle étoile montante, un certain Adolf Hitler. Au fil des lettres, inexorablement, Martin et Max s’éloignent l’un de l’autre, et passent de l’incompréhension mutuelle jusqu’à la peur, jusqu’à la haine, jusqu’à la terreur…
Cette correspondance fictive, où le développement des évènements apparait dans toute la violence de sa vélocité (1932-1934), compose le texte de Kressman Taylor, dont les artistes ont choisi de donner à entendre l’intégralité, et qui garde dans la pièce la forme épistolaire choisie par son auteur. L’enjeu de cette création n’est pas anodin, tant dans la représentation d’un texte fort que dans la mise en scène d’une correspondance. Le choix des artistes s’est porté sur l’épure (un écran blanc : page blanche, inconscient, mémoire) et le minimalisme, avec très peu d’objets sur scène (une bouteille de vin, deux rubans, six roses jaunes dans un vase), mais dont les fonctions et la symbolique sont démultipliés au comble de leurs possibilités.
Valérie Lons, qui est à l’origine de l’idée de cette pièce, démontre les qualités d’une interprétation sensible et particulièrement mature et profonde de son personnage, le jeune rêveur romantique Max Eisenstein. Face à elle, une tragédienne comme on n’en rencontre plus beaucoup dans le théâtre français d’aujourd’hui, Françoise Delile-Manière, dont la multiplicité des qualités dramatiques, vocales, plastiques et d’expression, se trouve exacerbée dans le rôle de l’Allemand nazi Martin Schulse. Il s’agit de l’une des premières fois où les rôles des deux héros sont interprétés par deux actrices.
Photo : D.R.