« Vous avez l’air en colère, monsieur Halter ». Oui, Marek Halter est en colère car, comme aimait le dire François Truffaut, « ce qui caractérise un Juif, c’est qu’il se réveille tous les matins en colère ». Et les sujets ne manquent pas, dans le monde, tous les jours, pour entretenir cette colère, ce qui nous vaut un ouvrage incisif et argumenté composé de vingt-et-un chapitres, du « premier matin » au vingt-et-unième.
A travers sa propre expérience de Juif venu d’ailleurs, l’auteur raconte les difficultés de l’immigrant considéré comme « apatride », subissant les tracasseries bureaucratiques et qui mettra vingt ans à obtenir la nationalité française, grâce à Simone Veil, alors ministre de la Santé sous Giscard d’Estaing. Vingt ans aussi pour retrouver son prénom d’origine alors que l’administration s’obstinait à le nommer « Aron ». « Je suis né en Pologne, j’ai grandi en Russie, j’ai vécu en Argentine et ma mémoire est juive. Cependant je suis français ». Dès lors, explique Marek Halter, comment ne pas être sensible aux problèmes des nouveaux arrivants dans notre pays, comment ne pas être solidaire avec des gens qui sont en butte aux mêmes angoisses que celles qu’il a lui-même connues. Cette première discussion ouvre la voie, immanquablement à un débat sur le communautarisme et, par ricochet sur l’islam de France. Prenant comme modèle idéal, « la façon dont les multiples communautés de la société américaine manifestent leur fidélité à leurs origines et, en même temps, à la patrie qui les rassemble », Halter conclue : « A l’heure de la mondialisation, la richesse d’un pays réside dans sa diversité culturelle et ethnique. Appartenant à l’antique tradition mosaïque, ce n’est pas l’amour que je réclame aux diverses communautés qui peuplent mon pays, mais le respect, celui des lois et de la liberté de chacun ». Certes, mais que penser des émeutes de banlieue ? Ne sont-elles pas le signe d’une impossible intégration ? Réponse : « Sans un effort économique et sans une réelle insertion sociale, le fossé entre la population des banlieues et le reste du pays ne sera pas comblé de sitôt ». Suivent des considérations sur l’islam intégriste, le racisme, l’antisémitisme. Pour Marek Halter, ce qui caractérise notre époque, c’est que les mentalités ont changé : « Aujourd’hui, la plupart des racistes n’osent plus revendiquer leurs idées : ils en ont honte ». Sur ce point et quand on se réfère aux prises de position d’un Ahmadinejad, du ministre algérien des Anciens Combattants (Moudjahiddines), Mohamed Cherif Abbas, commentant la visite annoncée de Nicolas Sarkozy à Alger ou les délires verbaux d’un Dieudonné ou de la tribu Ka, l’auteur nous semble un peu optimiste. A propos des femmes qu’il incite à « casser la baraque » pour se libérer de l’oppression, l’auteur avoue ne pas être convaincu par l’efficacité de l’interdiction du voile islamique dans les espaces officiels de la République : « Que vaut-il mieux : qu’une fille voilée apprenne les principes de la démocratie ou qu’elle enlève son voile et accepte les règles de l’islam extrême ? » Quant aux écolos, leur « chantage » exaspère Halter qui s’élève contre l’introduction des ours dans les Pyrénées et considère que les Verts posent de bonnes questions mais offrent de mauvaises réponses
Le conflit israélo-arabe ne saurait échapper à la conversation, le terrorisme aussi : « C’est vrai, je suis attaché à Israël, à son existence. Existence qu’Israël doit avant tout à sa présence ininterrompue sur cette terre depuis qu’Abraham a acheté, il y a quatre mille ans, un terrain près de Hébron au Hittite Ephron, fils de Cohar ». Favorable à la création d’un Etat palestinien, Halter avoue : « J’ai peur pour Israël ».
Autre sujet de courroux, pour l’auteur : l’Europe. « Dès qu’on me parle d’Europe, ma colère se multiplie », affirme Marek Halter qui dénombre trois « bêtises ». Qu’avait-on besoin de proposer un référendum en 1995. Pourquoi élargir indéfiniment l’Europe ? « On n’invite pas ses voisins dans une maison en chantier ». Enfin, quelle erreur, pour les Français, d’avoir dit « non » à l’Europe en mai 2005 !
La démocratie, la Russie de Poutine, les limites de l’action humanitaire, l’antiaméricanisme primaire font aussi l’objet des conversations de l’auteur avec son ami Loubavitch.
On parle souvent du « devoir de mémoire ». Cela irrite Halter au plus haut point. Cette expression le gêne. « J’irais jusqu’à dire qu’elle me met en colère ». Colère encore contre les altermondialistes. « Mais pourquoi sont-ils si vieux, ces jeunes altermondialistes ? » Des altermondialistes racistes et staliniens comme on a pu en voir à Durban. « Si leur altermonde est bien celui-là, alors je n’en veux surtout pas ».
« Vous restez un indécrottable optimiste, monsieur Halter, malgré vos justes colères, dira le Juif religieux du square des Vosges à l’auteur lors de l’une de leurs rencontres. C’est effectivement le sentiment qui ressort de la lecture de ce petit livre militant, truffé de références et d’anecdotes bibliques et talmudiques et agrémenté de souvenirs personnels toujours émouvants. Très enrichissant.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Robert Laffont. Novembre 2007. 198 pages. 17 euros