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Publié le 17 Octobre 2007

Juifs d’élection. Se convertir au judaïsme Par Sébastien Tank-Storper (*)

C’est une véritable enquête, une plongée dans l’univers complexe de la conversion au judaïsme que l’auteur, chercheur associé au Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux au sein de l’EHESS, nous propose. « Figure exemplaire du croyant moderne », le converti, dont le modèle n’est pas propre à l’univers du judaïsme, est amené à réaliser un véritable parcours du combattant, un itinéraire initiatique exceptionnel, qui, dans le cas du judaïsme diffère quelque peu selon la congrégation à laquelle on s’adresse ou le pays dans lequel on réside. Et, par delà les détails de procédure, fort intéressants au demeurant, il convient de se poser la question essentielle du pourquoi. Pourquoi un individu, un jour, décide de changer de religion ?


L’auteur se réfère aux travaux pionniers en la matière de John Lofland et Rodney Stark pour lesquels la conversion s’explique par l’accumulation de sept facteurs :
1/ Avoir expérimenté de fortes tensions
2/ Etre à la recherche d’une solution
3/ Avoir une attitude de « chercheur », mais en considérant que les réponses données par les institutions conventionnelles sont inadéquates
4/ Avoir rencontré le groupe auquel on se convertira à l’occasion d’un moment de rupture
5/ Avoir des liens affectifs avec les membres de ce groupe
6/ S’être détaché d’éventuels liens avec d’autres groupes
7/ Etre exposé à une intense relation avec les membres de ce groupe
Dans le judaïsme, la codification du gyyur, c’est-à-dire du processus par lequel un non-Juif devient juif, date de la période qui a suivi la destruction du Second Temple (Traité Yébamot, d’abord, en –135 puis traité Gerim, vers 500). Le Shoulkhan Haroukh de Yossef Caro (1488-1575) en reprend les modalités pratiques. Cet ouvrage, qui fait autorité, stipule, qu’en matière de conversion :
1/ Le rituel de la conversion (mikvé, c’est-à-dire bain rituel, plus circoncision) est un acte irrévocable, qui, s’il est mené dans les formes, ne peut être contesté
2/ Le candidat doit être motivé par une intention pure (ce qu’on nomme le shem shamaïm)
3/ Le candidat s’engage à respecter les mitsvot
4/ Accepter un candidat sincère est une obligation
Ce canevas, qui peut paraître strict, laisse, selon notre auteur des marges de manœuvre qui permettent une approche et une philosophie différentes selon les diverses obédiences. Sébastien Tank-Storper commence par analyser la vision libérale, celle du MJLF ou de Pauline Bebe. Il en vient ensuite aux conservative ou Massortis organisés, notamment à New York du Jewish Theological Seminary avant d’aborder l’orthodoxie. A ce propos, l’auteur oppose la position des orthodoxes israéliens à ceux du Consistoire Central en France : « Au « centralisme bureaucratique » du Consistoire de France s’oppose en Israël un centralisme exclusivement juridique offrant une certaine autonomie aux rabbins qui restent en grande partie libres de définir les contenus idéologiques et les modes d’organisation de leur communauté ».
Un exemple original nous est proposé avec la façon de faire du Seminario Rabinico Latinoamericano de Buenos Aires où c’est l’évaluation plutôt que la preuve qui a cours et ou on privilégie la persuasion plutôt que la prescription. Bref c’est « autorité négociée versus autorité prescriptive »
L’auteur, qui a suivi le parcours de conversion de plusieurs dizaines d’individus, hommes et femmes, nous livre des témoignages individuels émouvants
Un tableau vivant de situations très actuelles brossé avec rigueur, mais non sans une certaine tendresse. Intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du CNRS. Mars 2007. 256 pages. 23 €