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Publié le 4 Mai 2009

Juifs et Chrétiens face au XXIè siècle, ouvrage collectif (*)

Ce recueil rapporte les travaux d’un colloque qui s’est déroulé à l’Institut Catholique de Paris du 12 au 17 novembre 2007. Cette manifestation qui a eu lieu à l’initiative de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, avec le soutien notamment du SIDIC et du B’naï B’rith a permis à plusieurs intellectuels de renom d’intervenir sur des sujets de société aussi divers qu’intéressants.



Dans son introduction, Paul Thibaud, ancien directeur de la revue « Esprit » et président de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, évoque « une radicalisation de la modernité », parlant d’un redéploiement du religieux qui concerne selon lui toutes les religions, mais surtout le christianisme. Souvent devenu « le fantôme d’un ancien pouvoir », le christianisme se doit de trouver les moyens d’un renouvellement. Dans cet esprit, « le rapport avec le judaïsme apparaît comme un repère indispensable ».
Quatre thèmes ont été retenus dans ce colloque : « La Shoah, comment en parler encore ? », « Révélation biblique et Histoire », « De la peur de mourir à celle d’une vie diminuée » et « Devant l’usure de la démocratie ».
Sur le premier thème, le philosophe Alain Finkielkraut intervient en premier, insistant sur la nécessité de la remémoration, mais aussi sur ses dangers : « Une civilisation qui oublie son passé se condamne à le revivre ». D’où ce questionnement : « Comment parler encore de la Shoah sans tout mélanger et sans sacrifier pour autant les exigences du jour ». Directeur du Service National des évêques de France pour les Relations avec le judaïsme, le père Patrick Desbois lui succède, expliquant dans le détail comment il a « travaillé » sur la Shoah, à l’Est, en Ukraine. À l’Est où « on avait pour règle que chaque Juif soit tué d’une seule balle pour économiser les munitions, si bien que chaque tireur savait quelle personne il devait viser pour la tuer ». Un témoignage qui fait froid dans le dos. Édouard Husson, historien, spécialiste de l’Allemagne nazie, avoue d’emblée ne pas comprendre l’opposition qui est faite entre mémoire et histoire. Pourtant, à l’expérience, « la recherche sur la Shoah fait bien comprendre combien le travail de l’historien a besoin des stimulations de la mémoire… ».
Ancien ministre de l’Éducation nationale, Luc Ferry inaugure le deuxième sujet. Il affirme sa conviction que l’adjonction du marché aux droits de l’Homme est une addition insuffisante. C’est pourquoi le message des grandes religions et des grandes spiritualités est plus que jamais nécessaire. Olivier Abel, théologien protestant, considère qu’il faut à notre modernité maltraitée une autre figure de la généalogie, donc une autre idée de l’émancipation. « Vivre dans la révélation », tel est le message de l’écrivain Armand Abécassis dans une intervention émaillée de références au texte biblique et au Midrash. Enfin, Henri-Jérôme Gagey, théologien catholique, clôt ce second sujet autour de « La transcendance et la vie ».
Le troisième thème aborde des sujets délicats. Nous évoluons dans un monde où l’Homme a tendance à exiger de plus en plus un droit à la longue vie, à la santé, au plaisir, nous dit l’économiste Hervé Juvin. « L’idéal contemporain est l’immortalité, dans son expression banale de la quête de la longue et de la très longue vie, indifférente au demeurant à ses conditions morales et sociales ». Or, les religions du Livre ont prospéré sur la peur de la mort. Et, « c’est fini. La peur de la mort ne fonde plus le sentiment religieux ». Question conclusive : « Celui qui ne sait rien de la mort, que peut-il savoir de la vie ? »
Patrick Verspieren, spécialiste d’éthique biomédicale prend le relais pour, notamment, mettre en avant la multiplication, dans nos sociétés d’une inflation des « droits à… ».
Se basant sur des cas réels qui ont défrayé la chronique, notamment des affaires de cryogénie, le Grand rabbin Gilles Bernheim se réfère au Talmud pour lequel « l’homme qui veut se survivre refuse de fait les générations futures ou, plus exactement, il s’impose aux générations futures », ajoutant, en fin d’exposé : « La pensée religieuse se doit d’être lente, parce que lorsqu’elle n’a pas été lente, elle a été terrifiante ».
Quatrième et dernière série d’interventions avec, tout d’abord, Paul Thibaud qui examine les « Déboires et espoirs de la laïcité », affirmant, notamment : « Les revendications musulmanes, plus discrètement celles des Juifs, ont révélé la difficulté d’une laïcité affaiblie, sans projet collectif à débattre avec les religions, quand ce qui devrait être le terrain commun, le civisme national, apparaît évanescent » et propose une « laïcité dialogique ». Quant au juriste Claude Klein, il aborde une question qui semble un peu extérieure aux préoccupations de ses collègues, celle du « sionisme rattrapé par le religieux ». Contrairement à ce que la presse française a tendance à nous faire accroire, affirme l’intervenant, il n’y a pas, en Israël, de mainmise absolue sur la vie sociale, de la religion et du rabbinat. Il y a en Israël, une « coexistence tout à fait incroyable entre situations opposées ». C’est au philosophe et historien, Marcel Gauchet, qu’il revient de conclure sur « Humanisme laïque et humanisme religieux ». « À la vérité, dans la bataille qui s’annonce, humanisme laïque et humanisme religieux ont besoin l’un de l’autre »

Souvent, les interventions sont suivies d’un court débat qui amène des précisions utiles.
Un travail précieux et salutaire.


Jean-Pierre Allali


(*) Éditions Albin Michel. Novembre 2008. Sous la direction de Paul Thibaud. Contributions de Armand Abécassis, Olivier Abel, Gilles Bernheim, Patrick Desbois, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, Henri-Jérôme Gagey, Marcel Gauchet, Édouard Husson, Hervé Juvin, Claude Klein, Paul Thibaud et Patrick Verspieren. 256 pages.