Il n’était pas envisageable de terminer cette année sans signaler la publication du CERCIL, le Centre d’Etude et de Recherche sur les Camps d’Internement et la déportation juive ; Interné d’office, les Cahiers d’Abraham Zoltobroda.
Le sous titre de cet ouvrage aussi troublant que beau, dit tout : « Du camp d’internement de Beaune la Rolande à l’hôpital psychiatrique de Fleury-les-Aubrais ».
Qu’est-ce qu’un asile d’aliéné au mitan du siècle dernier ? Un mouroir.
C’est pourtant à cet endroit qu’Abraham Zoltobroda, juif polonais réfugié en France, arrêté et interné au camp de Beaune la Rolande, le 14 mai 1941 après s’être présenté au commissariat de Nogent sur Marne pour répondre à la convocation du billet vert reçu la veille, va s’attacher à rester, préférant « se faire oublier chez les fous » pour échapper à la folie meurtrière des hommes de raison.
Mort socialement donc ; mais vivant.
Conjuguant une étude remarquable d’Isabelle von Bueltzingsloewen Maitre de conférence en histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2 et de l’historien Benoît Verny, aux carnets personnels d’Abraham Zoltobroda, la publication du CERCIL est passionnante car précise, nourrie d’illustrations et innovante.
Sans pouvoir toutefois conclure des généralités, le témoignage d’Abraham Zoltobroda nous informe que c’est grâce à son internement qu’il échappe à la déportation. Or cet internement n’était pas justifié du point clinique, il n’a été rendu possible que par la complicité du médecin-directeur de l’asile Georges Daumézon, et des deux médecins chefs le Dr Caron et le Dr Léculier. Les hôpitaux psychiatriques auraient-ils servi de base arrière de la résistance et de planque pour les Juifs ? Cette hypothèse est difficilement vérifiable car peu matérialisée dans les archives.
Comment l’équilibre psychique déjà fragilisé par la guerre et l’occupation résiste-il à la confrontation aux pathologies mentales des internés? Car il faut imaginer un lieu rempli de cris, sujet à la violence, résonnant de rires vains, secoué de pleurs incontrôlés, habité par des malades qu’on ne peut pas soigner par manque de méthode. Les neuroleptiques, qui ne seront utilisés qu’à partir de 1950 proposeront alors une possibilité de contenir les psychoses. En attendant les malades, précise le Dr Caron, sont soignés par le travail (l’ergothérapie) qui « constitue pour ceux (…) qui en sont capables, un des moyens thérapeutiques les plus intéressants ».
Considérons aussi la souffrance physique qui l’emporte sur la souffrance mentale en tuant massivement, notamment lors de l’année 1941où le Dr Georges Daumézon alerte la commission de surveillance de l’augmentation anormale de décès survenus au cours du mois de décembre (20 contre 6 en 1939 ) ; « dont l’origine doit être recherchée dans l’insuffisance de l’alimentation ». Le taux de mortalité passe de 7,5% en 1940 à 20% en 1942 et 232 décès sont dénombrés en 1941, chiffre qui n’avait pas été égalé depuis l’épidémie de grippe de 1918.
Loin d’être ignorés des autorités d’occupation les malades juifs en traitement à Fleury sont recensés sur une liste mise à jour des « israélites en traitement à l’établissement » et envoyée à la mairie.
La présence dans l’établissement de ces malades venus des camps est toujours confirmée par le médecin chef qui doit justifier l’internement psychiatrique par un diagnostic précisant le comportement dangereux du patient pour lui-même et pour autrui.
Fin 1942 sur décision du Préfet, les malades provenant de Beaune la Rolande doivent tous sans exception être soumis au régime commun mais « pour éviter toute évasion, ils ne devront être autorisés à recevoir aucune visite ». Après 1943 (date de la fermeture du camp de Beaune) les internés dépendent administrativement du camp de Drancy
En février 1944 la Sûreté allemande donne l’ordre de transférer les 18 malades juifs internés à Fleury-les -Aubrais à l’hôpital Ste Anne à Paris où ils restent au moins jusqu’à la libération et échappent à la déportation.
Ce livre écrit une page restée vierge de l’histoire des internés des camps d’internement du Loiret et réhabilite la figure bienveillante du Dr Georges Daumézon. Sans son action clandestine de résistance, et sans l’acharnement d’Abraham Zoltobroda à garder mens sana in corpore sano cet ouvrage n’aurait probablement pas vu le jour.
Stéphanie Dassa
Interné d’office…
Du camp d’internement de Beaune la Rolande…à l’hôpital psychiatrique de Fleury-les- Aubrais
Les éditions CERCIL
Prix de vente 15€