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Publié le 13 Novembre 2003

L’Eglise catholique et le peuple juif. Un autre regard, de Jean Dujardin

De 1984 à 1999, Jean Dujardin a été le Secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme. C’est un véritable expert en la matière et un combattant infatigable d’une cause qu’il estime essentielle, celle de la réconciliation et des retrouvailles entre le peuple d’Israël et la catholicité considérés comme une « nécessité spirituelle absolue ».



Dans un ouvrage volumineux et dense, un peu brouillon parfois mais passionnant, il fait le point sur la question d’une manière quasi-exhaustive.

« Que de chemin parcouru », s’exclame l’auteur qui remonte le temps et décortique les longues périodes de l’Histoire où l’antijudaïsme était de mise dans le vécu quotidien des fidèles et des ecclésiastiques. Ainsi, la fameuse prière du Vendredi saint où étaient évoqués les « Juifs perfides ». Ou l’accusation répétée de « peuple déicide »Tout cela n’existe plus et a laissé la place à une compréhension fraternelle : « Prions pour les Juifs à qui Dieu a parlé en premier, qu’ils progressent dans l’amour de son nom et la fidélité de son alliance ».

Le grand tournant de la repentance a été amorcé lors du concile Vatican II avec la publication de la déclaration conciliaire Nostra Aetate dont le paragraphe 4 commence par ces mots : « Scrutant le mystère de l’Église, le concile se souvient du lien spirituel qui unit le peuple du Nouveau Testament à la lignée d’Abraham». Un texte qui, d’une manière discrète mais efficace invitait les fidèles à une démarche de purification de leur mémoire afin de réfléchir à la responsabilité des catholiques dans la tragédie de la Shoah. On n’oubliera pas pour autant les réticences d’une partie du clergé à l’initiative salutaire du pape Jean XXIII aidé par le cardinal Bea. Une véritable coalition d’opposants où se retrouvaient les patriarches des Églises orientales venus des pays arabes et les tenants d’un conservatisme clérical a longtemps bloqué l’initiative. Des manifestations eurent lieu dans plusieurs capitales arabes. Il fallut attendre la septième version qui fut approuvée par 2221 voix contre 88 et promulguée le 28 octobre 1965 par Paul VI.

Malgré ses manques évidents, l’absence de référence explicite à la Shoah, le silence sur l’État d’Israël, la relative modération de la condamnation de l’antisémitisme, Nostra Aetate a donné le départ d’une nouvelle ère. Les choses vont alors aller crescendo et Jean Dujardin analyse avec beaucoup de pertinence cette évolution lente mais réelle. La déclaration de Seelisberg, la déclaration du Comité épiscopal français de 1973, les Notes pour une correcte présentation des Juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique qui, en 1985, affirment : « Jésus était juif et l’est toujours resté », l’accord fondamental conclu entre l’État d’Israël et le Saint-Siège, le 30 décembre 1993 et, le 12 mars 2000, le geste inouï de Jean-Paul II, déposant son message de demande de pardon de l’Église au peuple juif dans les interstices des pierres millénaires du Mur Occidental à Jérusalem.

Pouvait-on aller plus vite ? Le Grand rabbin Gilles Bernheim en doute car « Si le berger s’avançait trop vite, le troupeau pourrait l’abandonner ». Le dialogue avance donc, certes, mais des ombres demeurent. Comment ne pas rappeler la triste controverse à propos des croix, dont l’une, haute de huit mètres est toujours présente, plantées à Auschwitz, sur le lieu même du martyre du peuple juif et l’attitude ambiguë du cardinal Glemp. Ou encore la question de la béatification d’Isabelle la Catholique comme de celle de Pie IX, l’appréciation divergente du silence de Pie XII, la récupération de la destinée tragique d’Édith Stein. Sans oublier la publication de la Bible des Communautés chrétiennes aux relents antisémites.

Toutefois, si les progrès réalisé dans le domaine relationnel et dans le changement complet d’attitude de l’Église face au judaïsme sont réels, le blocage est total et risque de le demeurer au niveau théologique.

Néanmoins, l’un des intérêts de l’ouvrage est qu’il va droit aux sources. Pour tenter de comprendre la catastrophe de la Shoah, il procède à une relecture des textes fondamentaux de l’idéologie nazie. Pour expliquer la séparation du christianisme naissant avec le judaïsme, il relit finement les Actes des Apôtres. Pour mesurer l’évolution de l’Église dans sa perception du judaïsme, il propose en annexe les textes des déclarations les plus marquantes.

« Dans le combat pour la sauvegarde de la mémoire, dit Jean Dujardin, les chrétiens doivent demeurer aux côtés du peuple juif et se rappeler avec lui la phrase du Baal Shem Tov : « Oublier c’est prolonger l’exil (…) se souvenir est le début du redressement » ».

Un livre remarquable, une somme sur un sujet passionnant.

Jean-Pierre Allali

Jean Dujardin. L’Église catholique et le peuple juif. Un autre regard. Éditions Calmann-Lévy. 564 pages. 28€