Fille d’Eliezer Guzman, un Juif ukrainien, fils de rabbin, qui, à treize ans, entreprit de rejoindre à pied la Terre promise et de Frouma Yousefovitch, une Juive lituanienne, venue en Palestine dans le cadre de Maccabiades et qui décida d’y rester, Rika est née le 19 février 1938 à Jérusalem, dans le quartier de Mekor Baroukh, à la lisière du quartier arabe de Romena. Elle vient au monde deux ans après son frère aîné, Oded. « Rika, un bébé au teint clair, le regard et le cheveu sombres, les yeux un peu bridés et les pommettes saillantes de ma mère. Eh oui, je suis une fille de l’Est ».
Enfant de Palestine, elle reçoit, pour son premier anniversaire, un certificat attestant de la plantation de dix arbres à son nom. La construction du pays est en marche, son reboisement s’accélère et le yichouv se renforce malgré la hargne des Britanniques à empêcher des bateaux chargés de réfugiés fuyant l’Europe d’accoster en Terre sainte.
Tandis que la petite Rika, Rikie pour les intimes, commence à prendre des cours de piano car sa maman ne l’imagine pas autrement qu’en grande concertiste, la guerre gronde et une lourde menace pèse sur Jérusalem. Nous sommes le 30 novembre 1947. Rika a neuf ans. À Lake Success, aux États-Unis, se joue le sort de l’État juif en gestation. Les Guzman, qui sont les seuls dans le quartier, à posséder une radio installent des hauts parleurs dirigés vers la rue. Dehors, quelque mille personnes attendent, angoissées, le résultat du vote. « Nous en avons le souffle coupé et les jambes en coton, de guetter le dénouement avec une telle ferveur. Deux mille ans d’attente suspendus cette nuit aux lèvres d’un speaker quand, enfin, après le doute et la peur, le verdict tombe : trente-trois pays pour, treize contre et dix abstentions. » Sur le papier, Israël est né. « J’y étais et aux premières loges et je vais vous raconter ça » semble vouloir nous dire Rika Zaraï. Et, de fait, son récit alerte et vivant nous fait revivre ces moments exceptionnels de ferveur et de joie malgré les bruits de bottes qui grondent. Les rues noires de monde, les horas endiablées, Tel-Aviv qui prend de faux airs de Rio et même l’austère Jérusalem qui se laisse aussi envelopper par une atmosphère de carnaval. Golda Meir apparaît au balcon de l’Agence Juive, suivie peu après par David Ben Gourion : « -Pendant deux mille ans nous avons attendu notre délivrance. Maintenant qu’elle est venue, elle semble si merveilleuse que les mots me manquent pour exprimer nos sentiments…Juifs, Mazel Tov ! Bonne chance ! ».
De la chance, il en faudra effectivement aux Juifs de Palestine. Car les Arabes, avec la complicité passive et parfois active des Anglais, ne l’entendent pas de cette oreille. La nuit même du vote historique, cinq pays arabes attaquent un État qui n’a pas encore vu le jour. Assassinats de civils, bombardements, agressions meurtrières. « C’est dur, très dur, mais nous tiendrons bon ! » raconte Rika. « Le 10 janvier 1948, en collaboration avec les Anglais, une foule d’Arabes déchaînés crient « Itbah el Yahoud » (égorgez les Juifs) et incendient le centre commercial de la rue Mamila. Tout le quartier est mis à sac puis entièrement brûlé…L’odeur des cendres ne me quitte pas…En février, alors que je m’apprête à fêter mon dixième anniversaire, le massacre s’amplifie encore. Dans le centre-ville, le 1er de ce mois, c’est l’immeuble du journal Jerusalem Post qui est bombardé…
Le siège de Jérusalem, sans eau, sans vivres, sans médicaments, sans carburant est narré dans tous ses détails. Comme le sera, plus tard, la Guerre d’Indépendance. Nous avons là un précieux témoignage de première main.
Et Rika grandit, se réfugiant de plus en plus dans la musique. « Elle est ce monde magique, ce rêve éveillé qui me sauvent mon réel ». Ce qui ne l’empêche pas d’accomplir son service militaire. Cela nous vaut des pages très sympathiques sur « Un bon petit soldat…qui chante ». Et puis, un jour, c’est décidé : « À nous Paris ». Sans un sou en poche, la petite sabra débarque dans la capitale française à la conquête de ce Nouveau Monde. Les débuts furent difficiles, mais on connaît la suite : Eddy Barclay, Jacques Paoli, Bruno Coquatrix, Michel Legrand, Brassens, Aznavour, Brel et tant d’autres. L’Olympia, le succès, la célébrité…
Les anecdotes abondent dans cet ouvrage alerte où l’on apprend, entre autres, que Zaraï n’est pas un nom de scène mais le patronyme de son premier mari, Yohanan Zaraï, compositeur de musique, père de sa fille, Yaël. Au fil des pages, on découvre aussi ceux qui composent aujourd’hui sa famille et les « fous » de ce qu’elle appelle sa petite clique.
Deux cahiers photographiques complètent harmonieusement ce très agréable récit. Un document.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Michel Lafon. Septembre 2006. 374 pages. 19€