Sur les traces et dans la lignée du sage Rav Simlaï, un amora qui, au IIIème siècle, énonça l’existence des 613 mitsvoth qui régissent la vie juive, Francis Weill décortique avec finesse, subtilité et érudition, les dix commandements, les dix paroles, à la découverte de l’éthique juive.
Sa belle démonstration est émaillée d’anecdotes savoureuses et de citations choisies qui montrent avec brio que le judaïsme, loin d’être monolithique, est tout en nuances. L’exemple des écoles d’Hillel, plus tolérant, et de Shammaï, plus rigoureux, en est l’illustration la plus probante. « Les paroles des uns et les paroles des autres sont toutes des paroles émanées du Dieu vivant »
Chacune des dix paroles, de « Je suis IHVH ta puissance qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, d’une maison d’esclavage » à « Ne convoite pas la maison de ton prochain ; ne convoite pas la femme de ton prochain, ni son esclave ni sa servante, ni son bœuf ni son âne, ni rien de ce qui est à ton prochain » est examinée dans les moindres détails pour en extraire la substantifique moelle, les enseignements les plus édifiants.
L’accent est mis sur la flexibilité et la souplesse du judaïsme qui, au contraire de certains présupposés, a su, à travers l’Histoire, s’adapter en modifiant, voire en annulant certaines pratiques comme la polygamie ou le lévirat. Car, affirme le Talmud (Traité Baba Batra) : « Ce qu’un tribunal rabbinique a décidé, un autre peut le défaire, s’il est supérieur en nombre et en sagesse »
Des développements édifiants concernent la position du judaïsme sur les problèmes les plus actuels : greffes d’organes, contraception, procréation assistée, mariage des mineurs, euthanasie, homosexualité, zoophilie, inceste, prostitution, peine capitale…
Tout au long de l’ouvrage, Francis Weill nous montre, exemples à l’appui, combien le judaïsme a été en avance sur son temps dans les domaines les plus divers : droit du travail, protection sociale, indépendance des magistrats, « sécurité sociale », gestion du « troisième âge », droits des malades et des handicapés, droits des étrangers, écologie, défense des animaux, problèmes posés par les organismes génétiquement modifiés.
On lira avec intérêt les considérations relatives à la fameuse « Loi du Talion », si injustement commentée par les adversaires du judaïsme parce que mal traduite et mal interprétée alors qu’elle contient les bases de la notion moderne de réparation d’un préjudice.
Hillel, on le sait, résumait toute la Torah à un seul principe : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ». « De fait, dit Francis Weill, toute la richesse de l’éthique juive peut se résumer en quatre versets, ceux que nous avons dénommés les verstes magiques : aime ton prochain comme toi-même ; ne reste pas debout sur le sang de ton prochain ; ne met pas d’obstacle sur le chemin de l’aveugle ; celui qui sauve une vie, c’est comme s’il sauvait tout l’Univers ». Quatre versets qui renvoient, pour plus de détails, aux fameux dix commandements.
Dix commandements, donc, dix paroles, qui, on l’aura compris, encadrent le Juif dans sa vie quotidienne, dans son cheminement spirituel. Pourtant, l’ouvrage comporte onze chapitres car il existe un onzième commandement induit, celui de la paix universelle, sous-jacent au socle moral de toute l’humanité, la paix,
Dommage, avoue l’auteur, que le judaïsme soit resté minoritaire et que la chrétienté l’ait emporté pour véhiculer le message divin : « Si le Monde avait adopté l’éthique juive au lieu de la combattre et de l’écraser, la vie serait sans doute plus agréable depuis des millénaires dans toutes les terres habitées. Le judaïsme n’a pas su faire connaître son éthique. C’est le christianisme qui s’est investi de la mission de la faire connaître, en en oubliant parfois la racine et l’universalité : on ne peut pas dire que la réussite soit complète… ».
Très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions MJR Genève. 2006. 254 pages. 30€