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Publié le 18 Juin 2007

L’Expérience du passé. François Furet dans l’atelier de l’histoire Par Ran Halévi (*)

Né en 1927, l’historien François Furet est mort en 1997. Homme discret, peu enclin à la confidence, il a cependant marqué l’histoire politique et culturelle de notre pays. Dans le cours volume en forme d’hommage qu’il lui consacre, Ran Halévy dresse le portrait saisissant d’un homme témoin de son temps, avec un parcours tout à la fois spécifique et personnel, mais qui, aussi, traduit bien l’évolution de nombre d’intellectuels français du demi-siècle qui vient de s’écouler. Et pourtant, il appartient dit Ran Halévy, à une espèce en voie d’extinction.


« Intellectuel à la fois éminent et inclassable », dit-il de lui, « il avait le don de marier, presque d’unir, les fonctions d’universitaire, de journaliste et d’homme public ».
Fils d’un directeur de banque, issu d’une famille bourgeoise, marquée par la laïcité et l’engagement à gauche, François Furet adhéra, très jeune, en 1947, au Parti communiste. Au sortir de la Guerre et de la catastrophe de la Shoah, la « religion » communiste est plus qu’attrayante. Dans le sillage du souvenir de la Révolution française, « elle érige les intellectuels en frères d’armes de la classe ouvrière ». L’illusion durera jusqu’en 1954, date de sa rupture avec le PCF et de son engagement au PSU dont il s’éloignera aussi sans pour autant se rallier à la droite. « L’idée socialiste, écrit-il à la veille de sa mort, n’offre plus aujourd’hui de modèle alternatif au régime libéral dans lequel nous vivons ».
Passionné par l’Ancien Régime, François Furet considérait qu’il était l’artisan involontaire de la démocratie moderne, un monde de nations jeunes et dynamiques, témoins de l’universalité du monde.
Dès lors, affirme Halévy, « ce n’est pas un hasard si, parmi les nations contemporaines, celles qui l’intéressaient le plus, et qu’il connaissait le mieux-l’Amérique et Israël-sont les produits par excellence de l’ère démocratique, qu’elles n’avaient pas à négocier avec un passé aristocratique ». Et si l’Amérique constitue pour Furet, « le laboratoire le plus pur de nos croyances modernes », Israël, pour sa part, est le « dernier État-nation européen », universel et solitaire, téméraire et vulnérable.
François Furet portait au judaïsme et à Israël un vif intérêt, tout à la fois intellectuel et affectif. Au souvenir indicible de la catastrophe de la Shoah, se mêlait chez lui, une admiration pour la performance historique du sionisme, qui, contre vents et marées et malgré la difficulté insurmontable, au demeurant, de son projet, sut saisir la fenêtre d’opportunité qui se présenta à lui pour permettre, à deux mille ans d’intervalle, la réalisation du rêve ancestral de tout un peuple. « L’expérience contemporaine, écrivait-il en 1982 dans Le Nouvel Observateur, coupe l’histoire des Juifs en deux parties, dont l’interminable exil figure le négatif et la révolution sioniste la renaissance ». Comment expliquer ce mystère de la réussite du projet sioniste ? Furet trouva essentiellement l’explication dans la lecture de Gershom Scholem, le grand spécialiste de la Kabbale. Gershom Scholem dont le frère, nous rappelle Halévy, choisit le communisme alors que lui, enfant rebelle du judaïsme berlinois, partit à vingt-six ans s’installer à Jérusalem. Un Scholem dont « le sionisme relève moins d’un engagement politique que d’un choix moral et existentiel, celui de redevenir pleinement juif » et que Furet invitera, en 1979, à inaugurer à Paris la première des conférences Marc Bloch.
Admirateur d’Israël, François Furet, nous rappelle Ran Halévy, n’a jamais partagé les sentiments souvent ambivalents de la gauche française envers Israël. Des sentiments qui l’ont conduit à adopter des attitudes d’oscillation « entre le tremblement plus ou moins coupable quand Israël semble menacé, et la critique plus ou moins sentencieuse quand il paraît invulnérable ».
Un petit livre agréable à lire. Une occasion de découvrir ou de redécouvrir François Furet.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Gallimard. Février 2007. 128 pages. 11,90€