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Publié le 25 Février 2010

L’autre - L’image de l’étranger dans le judaïsme, par Hervé élie Bokobza (*)

L’image de l’étranger, de l’autre, est une constante des textes religieux du judaïsme. Le respect et l’amour du prochain sont des enseignements de base de nos grands maîtres. Encore faut-il préciser de quel prochain il s’agit. Doit-on aimer l’autre « juif » ou l’autre tout court, l’homme, quelle que soit sa couleur de peau, son pays ou sa croyance religieuse ? Le nouveau livre d’Hervé élie Bokobza (1), militant fervent du rapprochement inter-religieux, jette un éclairage intéressant sur ce questionnement.



Il faut ici rappeler que pour le judaïsme, toute l’humanité descend d’un seul homme, Adam. C’est, nous dit le Talmud, afin que nul ne puisse se prévaloir d’une antériorité privilégiée dans la hiérarchie de l’humanité.
Dans son étude très fouillée et très documentée, l’auteur commence par nous rappeler que l’Homme a été créé pour parachever l’œuvre de Dieu. Il est un associé du Créateur. Et s’il est vrai que le peuple juif, qui seul, selon la tradition, accepta la Torah refusée par les autres nations, a été chargé d’une mission particulière ( encore faut-il ne pas se méprendre sur la notion de « peuple élu »), le noachisme, le respect des sept commandements de Noé est destiné, lui, à toute l’humanité. Pour Hervé élie Bokobza, une chose est sûre : l’enseignement de la Torah, par-delà le peuple juif, a une dimension universelle.
Reste qu’il demeure, dans de nombreux textes de référence certaines ambiguïtés qui ne peuvent être levées qu’en lisant « au-delà du verset ».
Ainsi, quand est énoncé le fameux principe : « Celui qui tue un seul être, c’est comme s’il tuait toute l’humanité et celui qui sauve un seul être, c’est comme s’il sauvait toute l’humanité ». L’être dont il est question est-il un Juif ou parle-t-on de tout être humain sans distinction? Hervé élie Bokobza nous précise bien comment il faut lire ce précepte.
Ainsi, également, dans la prière du matin, quand nous disons : « Béni sois-Tu, Éternel, notre Dieu, Roi de l’Univers, qui ne m’a pas fait non-juif » ou « qui ne m’a pas fait esclave » ou encore « qui ne m’a pas fait femme ». Une lecture rapide pourrait y déceler une forme de discrimination. Pas du tout , affirme l’auteur. Le Talmud nous explique que cette bénédiction vise seulement à remercier Dieu d’avoir donné au peuple d’Israël plus de mitsvot (commandements) à respecter qu’aux non-Juifs et, par conséquent, plus de mérite. De même pour le femmes et les esclaves qui ne sont astreints qu’à certaines obligations et pas à d’autres.
Avec courage et lucidité, Hervé élie Bokobza, se penche sur les cas où une lecture hâtive de la Bible entraîne des incompréhensions, voire des frictions et des inimités. C’est le cas, par exemple, du thème de la malédiction de Cham, l’un des trois fils de Noé considéré comme l’ancêtre des Africains. « Ce texte, nous dit-il, a pu servir de justification théologique à l’asservissement des peuples prétendus descendants de Cham ». C’est une aberration. Et de conclure, après des explications tout à fait recevables, que « justifier la traite des Noirs au nom d’une prétendue malédiction adressée aux descendants de Cham est aussi absurde que d’interdire de soutenir les indigents sous prétexte que l’homme, après avoir consommé du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, a été maudit, ne devant sa subsistance qu’à l’effort ».
Maïmonide, on ne le sait pas souvent, a eu, lui-aussi des termes très durs, qu’on qualifierait aujourd’hui, pour le moins de choquants. Bokobza ne contourne pas l’obstacle et cite, in-extenso, le célèbre médecin philosophe qui affirme, dans son Guide des Égarés : « Tous les hommes qui n’ont aucune croyance religieuse, ni spéculative, ni traditionnelle, comme les derniers des Turcs à l’extrême nord, les Nègres à l’extrême sud, et ceux qui leur ressemblent dans nos climats, ceux-là sont à considérer comme des animaux irraisonnables. Je ne les place pas au rang d’hommes, car ils occupent parmi les êtres un rang inférieur à celui de l’homme et supérieur à celui du singe, puisqu’ils ont la figure et les linéaments de l’homme et un discernement au-dessus de celui du singe ». Il faut, dit notre auteur, se replacer dans le contexte et dans les connaissances de l’époque.
L’étranger, l’autre, c’est aussi le guer, le prosélyte, le résident étranger, dirait-on de nos jours. C’est aussi l’esclave. Le sort de l’un comme de l’autre sont examinés avec minutie.
Très symboliquement, le dernier chapitre s’intitule : « Judaïsme, démocratie et laïcité ».
Une centaine de pages d’annexes et de bibliographie complètent cet ouvrage particulièrement intéressant.



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions L’œuvre spirituelle. Mai 2009. Préface de Haïm Korsia. 512 pages. 21 euros.
(1) De cet auteur, on pourra également découvrir Israël-Palestine. La paix à la lumière de la Torah. Éditions de L’œuvre. 2008. Voir notre recension du 12-06-2008.