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Publié le 21 Juin 2004

L’éclair de la rencontre. Juifs et Chrétiens : ensemble, témoins de Dieu (*) par Colette Kessler

On ne dira jamais assez l’importance pour le judaïsme qu’a constitué le revirement de l’Église à son égard et le passage d’un « enseignement du mépris » à une recherche de la compréhension mutuelle dans l’estime et la fraternité.



Colette Kessler, qui fut, en 1977, l’une des fondatrices, avec Daniel Farhi, du Mouvement Juif Libéral de France, œuvre depuis des dizaines d’années pour le rapprochement entre Chrétiens et Juifs.

Bien que le livre qu’elle vient de publier soit une recension des divers articles ou textes de conférences, écrits ou enseignés entre 1970 et 2000, avec les défauts du genre, à savoir les inévitables répétitions, l’ensemble proposé est d’une remarquable richesse et incite à la réflexion. Le regroupement par thèmes a été, fort judicieusement préféré à une simple chronologie.

Dans une première partie, Colette Kessler, après avoir narré sa rencontre tardive avec le judaïsme pensé, par le biais de Bahya Ibn Paqûda et d’Edmond Fleg, puis sous l’influence de son premier maître, le rabbin André Zaoui, brosse un tableau de la religion qu’elle vit et pratique au quotidien. Pour elle, la Bible, qui relate les événements fondateurs du peuple d’Israël, « n’est pas une relique, n’est pas une pièce de musée, mais une parole adressée, une parole lue et vivante…Le peuple juif a inscrit dans sa vie liturgique, annuelle, hebdomadaire, quotidienne, dans ses foyers et dans ses synagogues, pour la collectivité et pour l’individu, de la naissance jusqu’à la mort, son destin particulier et son espérance universelle ».

Avec la seconde partie, on aborde le point central de l’ouvrage : la relation entre Juifs et Chrétiens. Profondément marquée par la lecture de Martin Buber dont l’influence sur Leo Baeck et Emil Fackenheim a été déterminante et de Franz Rosenzweig, véritable initiateur du rapprochement judéo-chrétien, Colette Kessler s’avoue fervente adepte d’un judaïsme en perpétuel renouvellement et met en garde contre la « chosification de la Loi ».

Pour elle l’avenir du judaïsme passe aussi par le dialogue avec la chrétienté. « Le chemin du dialogue entre Juifs et Chrétiens n’est pas un chemin facile ». S’il faut exiger une fidélité sans compromis, la crispation ne saurait être de mise.
Et si, comme le souligne Rosenzweig, le judaïsme et le christianisme sont mutuellement exclusifs, ils sont cependant complémentaires ; « Ennemis dans l’espace, frères dans le temps ».

Certes, une asymétrie évidente dans cette relation demeure. Et si, après des millénaires d’iniquité et d’injustice à l’égard des Juifs, l’Église a fait repentance, « ce dialogue renoué ne semble pas interpeller les Juifs dans leur ensemble, quelle que soit d’ailleurs la tendance à laquelle ils appartiennent. » Colette Kessler reproche à la plupart des Juifs leur frilosité et leur peur panique de continuer à voir l’autre, le frère chrétien, comme un convertisseur en puissance. Il faut cesser de raisonner ainsi car, comme le dit Abraham Heschel « aucune religion n’est une île ». Il est temps que les Juifs d’aujourd’hui retrouvent le chemin de ces Juifs à part entière que furent Jésus, Marie et Paul, objets d’un chapitre de l’ouvrage, et abordent une lecture moins sévère des Évangiles.

Refusant tout syncrétisme et tout caractère messianique à Jésus, Colette Kessler, qui reconnaît participer à des prières communes, frôle cependant les frontières de ce que de nombreux Juifs considéreront comme infranchissable. À la question, « Un juif peut-il prier le « Notre Père » ? », une prière chrétienne dérivée du Kaddish, elle répond in fine, quoique hésitante en chemin : « Oui, je le pense, dans ce temps-ci et en ces lieux-là, nous Juifs devrions pouvoir non plus seulement dans le secret de notre intériorité, mais publiquement, après un temps d’étude et de silence, dire avec nos amis chrétiens : « Notre Père qui es aux cieux… » »

Un recueil remarquable qui donne à réfléchir car on peut admettre, avec Leo Baeck que si le Nouveau Testament n’est pas, pour les Juifs, une Écriture Sainte, il constitue « un témoignage autorisé de la foi juive » où beaucoup d’éléments du patrimoine spirituel d’Israël se trouvent conservés et transmis ».

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Parole et Silence. Juin 2004. 312 pages. 25€