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Publié le 4 Décembre 2009

L’écriture contre la solitude des déracinés

Questionner Aharon Appelfeld est hautement paradoxal, ecrit le Monde du vendredi 4 décembre 2009. Non que l'homme, charmant, refuse de se plier à l'exercice, mais parce qu'on l'oblige à dire des mots qu'il a choisi de taire ; à s'expliquer quand il préfère, dans ses romans, suggérer ; et à remplir les blancs qu'il y laisse délibérément.




C'est d'ailleurs peut-être en cela qu'Aharon Appelfeld est un écrivain biblique : le texte contient une somme incroyable de choses qu'il ne dit pas. Et puis c'est avec la Bible qu'il a appris l'hébreu, alors qu'il arrive, échappé des camps, dans la Palestine de 1946 : « Chaque soir, j'en copiais un chapitre entier afin que ma main s'imprègne de cette langue, de sa musique. » C'est d'elle aussi qu'il a appris à ne pas spéculer plus que de raison, et à être aussi concis que possible : « C'est important parce que je parle de beaucoup de choses traumatisantes, donc tout doit être choisi avec prudence, pour ne pas devenir banal ou faux. Je ne voulais pas écrire sur le macro, mais le micro. On est entouré de détails. Il faut trouver les deux - ou, mieux, le détail qui dit tout »…



Et si ses livres se passent pendant la guerre, le mot est à peine écrit, s'ils parlent de la Shoah le mot est tu ; de même, les officiers sont allemands - le terme de nazi est rarement utilisé. « Kafka, dans ses romans, mentionne-t-il Prague ? Sa judéité ? Je parle certes de la guerre dans mes livres, mais il est nécessaire de prendre de la hauteur, d'enlever tout particularisme pour les rendre universels, d'aller au centre et à l'essence des choses. Le reste, c'est le travail des historiens. » Il s'agit aussi de rendre sa place à l'individu, « de sauver la souffrance de l'énormité du nombre, de l'anonymat effroyable, de restituer à la personne son prénom et son nom de famille, de redonner à la personne torturée sa forme humaine, qui lui fut arrachée ».



C'est encore le cas dans son dernier - et peut-être l'un de ses meilleurs - roman, qui commence par un « Je m'appelle Bruno Brum-hart ». Amputé de la main droite, Bruno est l'enfant choyé de parents qui, à défaut de croire en Dieu, ont placé toute leur foi dans l'idéal communiste. Inutile de préciser que leur cher Parti les abandonnera et qu'ils n'y survivront pas. Bruno, lui, réussit à s'échapper du camp. Erre dans la forêt. Arrive jusqu'en Italie…



« Et la fureur ne s'est pas encore tue (ve haza'am od lo nadam) » d'Aharon Appelfeld. Traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti. L'Olivier, 276 p., 20 €.



Photo : D.R.