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Publié le 18 Février 2009

LES JUIFS DE SHANGHAÏ, Par Isabelle Martinet(*)

Il y a plusieurs années déjà que les Éditions Romillat annonçaient la sortie, dans leur collection « Terra Hebraïca » de l’ouvrage d’Isabelle Martinet sur les Juifs de Shanghaï. C’est désormais chose faite. Et les amateurs d’études sur les Juifs du bout du monde ne vont pas être déçus.



Il va sans dire qu’on ne saurait aborder un tel sujet sans commencer par situer l’environnement aussi bien historique que géographique. L’auteur en est parfaitement consciente qui nous propose en première partie une chronologie sommaire de l’histoire de la Chine, des Proto-Shang (1850-1122 avant J.C. à la proclamation de la République Populaire en 1940), un rappel des grands événements qui se sont déroulés dans le monde occidental ( de 1854 à la capitulation du Japon après Hiroshima, en 1945) et un survol de l’histoire du peuple juif avant d’entrer dans le vif du sujet : les Juifs de Chine, les Juifs de Kaifeng et, enfin, les Juifs de Shanghaï.
Plusieurs thèses ont tenté d’expliqué la présence de Juifs en Chine. Pour certains, leur arrivée date d’après le IIème siècle, pour d’autres d’avant la révolte des Macchabées. D’autres encore, considèrent les Juifs de Chine comme des descendants des fameuses « Tribus perdues ». Le point de vue officiel chinois est que ces Juifs seraient arrivés sous la dynastie Han, vers l’an 221, dans le sillage de marchands nomades suivant la Route de la Soie. Si l’on s’appuie sur des traces physiques, on dispose de deux inscriptions sur pierre datant de l’empereur Ming-Ti (58-76), d’un manuscrit hébreu datant du 8ème siècle découvert à Dunhuang et de divers fragments sur des pierres tombales.
Des voyageurs arabes signalent la présence de Juifs en Chine sous la dynastie Tang (618-907).
Plus tard, alors que le nord du pays est contrôlé par la dynastie Jin des Tatars (1115-1234), l’empereur autorise des Juifs à s’installer à Kaifeng où une synagogue est bâtie en 1163. Cette synagogue sera détruite et reconstruite à plusieurs reprises. Au fil des siècles, les Juifs se sont intégrés à la société chinoise, sinisant leurs patronymes et adoptant le mode de vie de la population majoritaire. Des Juifs chinois parviendront même à accéder à des postes de haute responsabilité. En 1605, à Pékin, a lieu la première rencontre entre Juifs chinois et Chrétiens d’Europe. Des Juifs vivaient également à Canton et à Ningxia, en Mandchourie.
Pour ce qui est de Shangaï, les Juifs s’y sont installés depuis la fin du XIXème siècle. La communauté est composée de deux groupes principaux : les Séfarades, de nationalité anglaise, tels les puissants Sassoon de Bagdad et les réfugiés, Ashkénazes russes, d’abord, puis Juifs d’Europe centrale et de l’est, surtout des Polonais qui affluent de 1940 à 1941.
Isabelle Martinet, dans ce livre très bien documenté, examine toutes les facettes de l’histoire récente des Juifs de Shanghaï : les Nababs séfarades, Silas Hardoon, Elly Kadoorie, Victor Sassoon, le commerce de l’opium, l’industrie textile, le commerce de boissons, les transports… Puis, avec l’arrivée des réfugiés ashkénazes fuyant l’Europe, l’organisation religieuse, les activités sociales, les Heime, l’éducation et même les activités politiques.
Tout ne sera pas facile pour ces communautés qui sont obligées, malgré leurs différences d’être solidaires dans l’épreuve. Les restrictions sur l’immigration, la montée de l’antisémitisme japonais après l’occupation japonaise, la constitution du ghetto de Hongkew, le 18 février 1943, le système contraignant des laissez-passer, la fin de la guerre du Pacifique et la fin du ghetto.
« La fin de la guerre du Pacifique qui libérerait Shanghaï de ses occupants japonais, puis l’entrée de l’armée communiste chinoise à Shanghaï en novembre 1948, devaient à nouveau bouleverser la vie de la communauté juive locale ».
Peu à peu, les Juifs vont quitter la Chine pour des horizons plus accueillants : le Brésil, l’Argentine, la Colombie, le Pérou, le Venezuela, l’Uruguay, la France, l’Afrique du Sud, les États-Unis et, bien sûr, Israël.
En 1952, il ne restait plus à Shanghaï, sur les dizaines de milliers d’âmes qui y avaient vécu selon des fortunes diverses, que six cents Ashkénazes et soixante-sept Séfarades. L’École juive de la ville a fermé ses portes en 1951, le « Jewish Club » a cessé totalement ses activités en 1955 et la Nouvelle Synagogue a continué de fonctionner jusqu’en 1956.
Le 30 juin 1958, on ne dénombrait plus que 84 Juifs à Shanghaï, 32 à Tientsin et 178 à Harbin.
Il était une fois, des Juifs à Shanghaï, des Juifs en Chine.
Un remarquable cahier de photos illustre ce livre passionnant.
Jean-Pierre Allali



(*) Éditions Romillat. Septembre 2008. 262 pages. 22 euros