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Publié le 16 Mars 2009

LES LITVAKS, l’héritage universel d’un monde juif disparu, par Henri Minczeles, Yves Plasseraud et Suzanne Pourchier (*)

Les Litvaks ont ceci de commun avec les Tunes, entendez les Juifs de Tunisie, qu’ils ont tendance, les uns comme les autres, à considérer que tout homme ou femme célèbre dans la communauté juive est issu de leur rang. Pour les Tunes, les listes de célébrités et de vedettes « bien de chez nous » qui circulent sur Internet et ailleurs, en témoignent. Même Victor Hugo a été, à l’époque, accaparé par les mères juives tunisiennes sous la prétendue appellation d’origine de Haïm Huga. Pour ce qui est des Litvaks, le sympathique ouvrage que nous proposent Henri Minceles, Yves Plasseraud et Suzanne Pourchier, des spécialistes du sujet, nous le démontre au fil des pages : « Ne sombrons pas dans le « litvakocentrisme », nous disent pourtant, conscients du phénomène, nos auteurs qui se demandent si la boutade d’Alexandre Derczansky : « Les Litvaks représentent le judaïsme d’aujourd’hui », est une exagération ou une réalité. Mais il faut avouer que leur recensement, dans tous les domaines du savoir et de l’activité, littérature, sciences, arts, sport… est éloquent. Mendelè Moher Sforim, un litvak. Tout comme Moshe Kulbak, Zalman Shnéour, Haïm Grade, Avrom Sutzkever, Zvi Kolitz ( un écrivain qui fut aussi agent secret), Chagall, bien sûr et Mané Katz, Kikoïne, Krémègne, Soutine… Et Simon Doubnov, Moses Hess et Leo Pinsker, Jabotinsky et le rav Kook. La célèbre famille de rabbins, les Soloveitchik, aussi. Et celle des Schneerson. Israël Epstein, l’hagiographe de Mao, un Litvak. Ludwik Zamenhof, l’inventeur de l’espéranto et Eliezer Ben Yéhouda, l’inventeur de l’hébreu moderne, itou. Et Sholem Schwartzbart, l’assassin de l’ataman Petlioura, également. Plus près de nous, l’oligarque juif, Roman Abramovitch, natif de Taurage, en Lituanie, l’architecte Daniel Liebeskind, chargé de reconstruire le World Trade Center de New York , l’écrivaine Nadine Gordimer, militante anti-apartheid de la première heure et prix Nobel de littérature en 1991 et, natif de Harbin, en Chine, le propre père d’Ehud Olmert, Premier ministre israélien. À propos d’Israël, précisément, comment ne pas citer Golda Meir, David Ben Gourion, Chaïm Weizmann, la famille Herzog, Yitzhak Ben Zvi, Zalman Shazar, Menahem Begin, Itzhak Shamir, Nahum Goldmann, le chef du Mossad, Isser Harel ( Isaac Halperin), Ariel Sharon, Benyamin Netanyahou, petit-fils du rabbin lituanien Nathan Mileikowski



Sans oublier Charles Bronson ( Charles Buchinsky), Lauren Bacall (Betty Joan Perske) dont le père était le cousin germain de…Shimon Peres, Romain Gary alias Émile Ajar (Roman Kacew).
Parmi les grandes figures litvaks en France, on relève notamment le psychiatre Eugène Minkowski, son fils, le pédiatre Alexandre Minkowski, Mordehai Litvine, l’auteur du « Temps des Cerises », Emmanuel Levinas, la famille Dugowson, Wladimir Rabi, Jacob Gordin, le maître de Léon Askénazi Manitou ou encore Samuel Pisar.
Le CRIF est bien représenté dans ce panthéon avec « Le militant bundiste parisien Fajwel Ostrynski, né à Krynki, une cité litvak dont les ouvriers tanneurs étaient très combatifs, connu sous le nom de Chraguer, est l’un des fondateurs du CRIF ». On pense aussi à Henry Bulawko et Bernard Kanovitch.
Même les rois de la pègre, Meyer Lansky ( de son vrai nom, Majer Sucholianski) et Arnold Rothstein, on les garde, pour le fun, ils sont de la famille !
En fait, si cette liste impressionnante dont nous ne donnons ci-dessus qu’un petit aperçu, est si dense, c’est que l’aire litvak est plus étendue qu’on l’imagine. Elle est loin de se limiter à la seule Lituanie. Alors que la Lituanie actuelle couvre 65 000 kilomètres carrés, la Litvakie s’étend, elle, sur environ 350 000 km2 incluant le sud de la Lettonie, la Biélorussie, le nord-ouest de l’Ukraine, une partie de la Russie occidentale ( y compris le sud-est de l’oblast de Kaliningrad, l’ancienne Königsberg) et le nord-est de la Pologne.
L’ouvrage parcourt l’histoire tourmentée du peuple litvak, nous décrit sa culture, ses mœurs, ses idéologies, son quasi-anéantissement par la Shoah, sa dispersion à travers le monde et le maintient, envers et contre tout d’un fond litvak en résilience, même si « La Litvakie appartient désormais à l’Histoire ».
En fin d’ouvrage, les auteurs semblent imputer aux Séfarades (Revoilà les Tunes !!) le déclin du litvakisme, du moins en Israël : « L’arrivée en Israël dans les années 1960 de très nombreux Séfarades, originaires du Machrek et du Maghreb (notamment du Maroc), parlant l’arabe, le judéo-espagnol ou le français, tout en « droitisant » le pays , a contribué à marginaliser la composante litvak de la société et la vieille langue d’origine ». Discutable.
Une autre petite critique, le peu de soin apporté à la relecture, notamment pour ce qui est des notes. Quelques exemples : « Hayim Yosef David Azoulay, rabbin érudit d’Afrique du Nord ». Le ‘Hida, bien qu’issu d’une vieille famille juive marocaine, est en réalité né à Jérusalem et mort à Livourne. « Daril Boubabeur » pour Dalil. Quant à l’ENIO, elle n’est pas l’École Nationale Israélite Orientale, mais l’École Normale… et la WIZO, c’est la Women International Zionist Organisation et non la « World… »
Reste, tout compte fait, un ouvrage très agréable à lire qui fourmille d’informations et de précisions, un véritable trésor pour les héritiers spirituels de la litvakie. À découvrir.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions La Découverte. Septembre 2008. 324 pages. 22 euros.