Nous sommes en 1940 à Paris. Joseph a huit ans. Dans l’atelier de couture de son père où trônent quatre machines Singer, noires et luisantes, Joseph découvre sa judéité. Un petit vieux, ami de la famille, lui explique qu’il est juif. Et Joseph, furieux : « Non, je ne suis pas juif, je suis français ». Avec son accent yiddish, le vieux revient à la charge : « Mais si, tu es juif, et si tu l’oublies, les goys se chargeront de te le rappeler ». C’en est trop pour le gamin qui appelle son père à la rescousse : « Mais, papa, dis-lui, toi, que je ne suis pas juif. Dis-lui ».
Oui, Joseph est juif, son frère Charles et sa sœur Anna, aussi et leurs parents, Samuel et Adèle, qui viennent de Pologne, de Varsovie et de Lodz. Et les grands-parents ? Juifs eux-aussi ! Avec son frère aîné, Charlie, qui est un peu son idole, c’est la grande discussion : « Mais, c’est quoi, être juif ? », « C’est comme nous. », « Mais nous, on est comme les autres. Les autres, ils sont juifs aussi ? », « Non. Nous on est juifs. Pas tous les autres », « C’est quoi la différence ? », « Nous, on a le zizi coupé »
Qu’il est loin, déjà, hélas, le temps béni où, perché sur les épaules de son père, il regardait la foule célébrer, à la place de la République, la victoire du Front populaire, où le marchand de ballons offrait ses beaux ballons rouges aux enfants, où à la TSF, Mistinguett succédait à Tino Rossi avant de céder la place à Ray Ventura et ses Collégiens, où à La Maxéville, l’orchestre de femmes battait son plein, où on allait, en famille, visiter l’Expo, la grande Exposition universelle près de la Tour Eiffel, une expo chantée par Maurice Chevalier avec sa Petite femme de l’Expo.
L’horizon a commencé à s’assombrir quand la radio a annoncé, le 13 mars 1938 que l’Allemagne, après avoir envahi l’Autriche, l’a annexée. Juste au moment où la famille vient d’emménager dans une nouvelle maison, plus spacieuse. Mais Joseph est trop jeune encore pour réaliser les enjeux de l’Anschluss.
« Le 17 mai 1938, il ne s’est rien passé de spécial. Le petit Joseph a reçu de son père sept coups de pieds au derrière. Cette « punition » n’est rien d’autre qu’une tradition familiale : un coup par an d’âge, plus an pour l’année à venir, ce qui doit, en principe, porter bonheur ». Un tradition qui se perpétuera au cours des années à venir.
Les bruits de bottes se font plus oppressants. Samuel est persuadé qu’un guerre terrible se prépare et s’inquiète pour sa petite famille. Et, de fait, le 2 septembre 1939, c’est la mobilisation générale. Samuel se retrouve, quelque part dans l’Est. Vichy, l’Etat français, Pétain, Doriot, le tampon juif sur les cartes. Samuel décide de se faire recenser. Sur la porte de l’atelier, une affichette en deux langues annonce : « Judisches Geshaft-Entreprise juive ». A l’école, l’atmosphère s’envenime. On chante « Maréchal, nous voilà… » et des enfants sont traités de « youpins ». Dans les rues, la traque aux Juifs s’organise. Samuel préfère, par prudence, « émigrer » au sixième étage dans une mansarde.
Janvier 1942. Joseph est inscrit à l’externat Sainte-Elisabeth. Arbre de Noël et « Je vous salue Marie »…
Paris devient trop dangereux. La famille prend le chemin du Sud. La ferme, les cochons, les vaches, le curé et le catéchisme. Joseph fait partie de la chorale et connaît tous les cantiques. Quant à Charlie, déjà grand, il a rejoint le maquis.
La fin de la Guerre, enfin, la capitulation de l’Allemagne, la Libération, le retour à Paris, un nouveau lycée, Turgot.
« Joseph reçut treize coups sur les fesses, plus un pour que ça lui porte bonheur. Ce jour-là, les hommes lui permirent de lire dans le Livre, de le porter à la vue de la communauté. Il devenait un homme parmi les siens en observant le rituel de la Barmitzvah ».
Très agréablement écrit. Une belle histoire
Jean-Pierre Allali
(*) Préface de Louis Mexandeau. Editions Cheminements. Avril 2007. 296 pages. 18 euros