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Publié le 11 Janvier 2011

La Bar-Mitsva de Samuel, par David Fitoussi (*)

La couverture et le titre même de cet ouvrage sont trompeurs. Ils laissent à penser qu’on a affaire à un livre pour enfants. Ce n’est pas le cas, loin de là. Ne serait-ce que par l’omniprésence du sexe. Certes, il s’agit des obsessions classiques d’un adolescent, en l’occurrence, ici, d’un jeune Juif, Samuel Elbaz, mais elles apparaissent sans cesse dans le texte.




Les aventures de Samuel commencent à Sarcelles où il vit avec sa mère, son beau-père, Julien, sa sœur, Arlette et son demi-frère, Oscar. Dans l’une des tours en béton de la cité banlieusarde, essentiellement occupée par des Maghrébins et des Noirs, Madame Elbaz n’a de cesse que de passer auprès des quelques « Blancs » du voisinage pour une des leurs. « Elle achetait des escargots et de la viande chevaline avec l’espoir qu’elle finirait par croiser son voisin… ».



Mais comme à Sarcelles, la vie devient impossible, la famille décide d’émigrer au Canada. Dès le premier pas en Amérique, c’est, pour Samuel, la désolation : « Notre première destination était un quartier de Montréal, Côte Saint-Luc. Rien que le nom me déprimait ». Le mont Tremblant dans les Laurentides et les fameux lacs du Canada ne présentent qu’un attrait mineur. « Le gravier gris qui recouvrait la plage me faisait deviner à quoi ressemblerait la Méditerranée après une marée noire. L’eau de texture huileuse était légèrement verdâtre ». Sans oublier les moustiques. « Je pense que si les moustiques du Québec avaient été l’une des dix plaies d’Égypte, il n’y aurait plus d’Égyptiens ». « C’était sinistre », « C’était une vraie vie de merde ». « De la neige, un froid polaire de l’automne jusqu’au printemps, ce n’était pas une plaisanterie, c’était seulement le Canada ». Le Québec apparaît comme « l’une des pires destinations touristiques de la planète », un pays où les autoroutes sont si peu fréquentées qu’on peut s’y endormir au volant en toute sécurité. Dès lors, le jeune homme en vient à regretter Sarcelles : « Sarcelles, les boîtes aux lettres défoncées, les voisins qui s’entretuaient gentiment, la vie paisible des jeunes chômeurs qui traînaient dans les rues, qui vandalisaient un peu par revendication sociale et un peu par ennui, tout ça commençait à me manquer ».



Et, pour comble de scandale, les Juives marocaines de Montréal n’ont rien à voir avec celles de la banlieue parisienne. « Elles avaient de tout petits derrières en équilibre sur des échasses….Je trouvais cela étonnant, puisqu’à Sarcelles, les Juives marocaines portaient un foulard pour cacher leur chevelure dégarnie et avaient des fesses qui ressemblaient à des couscoussiers ». Ce n’est pas tout, il faut inscrire le petit Samuel à l’école. Et comme le tarif de Maïmonide, l’école juive, est un peu élevé pour de malheureux immigrants, on l’inscrira dans une école protestante francophone et gratuite, à l’est de Montréal. « Ma classe était composée d’Arméniens, de petits Haïtiens hyperactifs, de quelques Québécois légèrement pâlots, de Portugais convaincus que la Vierge Marie était apparue à Fatima, de Bangladais musulmans, de deux jolies anglophones grassouillettes, de quelques timides Vietnamiens qui adoraient les maths, de trois obèses un peu dépressifs, de très sages Tamouls assis au fond de la classe et d’une dizaine d’élèves originaires de pays indéfinissables, apparemment membres des Nations unies, mais certainement à la dernière rangée de l’assemblée ».



En réaction à ce véritable chamboulement, à ce traumatisme, Samuel choisit de retrouver sa judéité : « Je décidai ainsi que désormais, j’affirmerais mon judaïsme, je mangerais strictement cacher et qu’un jour, j’irais voir le Mur des Lamentations et visiter les bordels de Tel Aviv ». C’est dans cette ambiance et alors que l’univers féminin commence sérieusement à l’intriguer, que Samuel va aborder la préparation de sa bar-mitsva.



Cela nous vaut un récit alerte, truculent même. On regrettera quelques outrances déplacées dont l’auteur aurait pu se passer, lorsque la période tragique de la Shoah est évoquée, mais, dans l’ensemble, ce livre est d’une lecture agréable.



L’auteur, né en France, a grandi à Montréal avant de faire son alyah en Israël où il vit désormais avec sa famille. Il y a fort à parier que ce récit très sympathique comporte une bonne part d’autobiographie.



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions Marchand de Feuilles. Le Livre de Poche. Juin 2010. 288 pages. 6,50 euros



Photo : D.R.