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Publié le 28 Janvier 2005

La République enlisée. Pluralisme, communautarisme et citoyenneté De Pierre-André Taguieff(*)

Voici un livre fort, structuré et lucide qu’il faut lire de bout en bout et qui donne à réfléchir. Il ne faut surtout pas être dérouté par le côté parfois philosophique du propos ou par les longues notes dont l’auteur est coutumier. L’essentiel est ailleurs. Face au réel danger qui menace le monde, face aux tenants des intolérances d’un nouveau genre qui avancent masqués et placent leurs pions destructeurs partout à travers la planète, il convient de prendre conscience du mal et d’envisager des contre-offensives.



Car « un spectre hante le monde : celui des communautés closes, exclusives et guerrières ».


Nous sommes confrontés à des « stratèges cyniques » qui n’hésitent pas à détourner les mots et les concepts de leur sens originel pour parvenir à leurs fins. « La nouvelle intolérance s’habille du lexique différentialiste, relativiste ou pluraliste » nous dit Taguieff qui ajoute : « L’intolérance a appris à parler la nouvelle langue de la tolérance, et se montre d’autant plus efficace qu’elle n’est pas perçue comme telle ». C’est pourquoi le combat est inégal. « Il est devenu difficile de lutter sur le seul plan de l’argumentation rationnelle contre des adversaires travestis, de mauvaise foi, utilisant le mensonge et la dénégation comme des armes ordinaires ».


Avec pertinence, Pierre-André Taguieff met en évidence un étonnant paradoxe qui fait que le passage aux limites de concepts au demeurant honorables conduit à la négation même des idées initiales. On est en pleine corruption idéologique. « De même que l’hypertolérance détruit la tolérance, l’hyperpluralisme détruit le pluralisme ». d’où la thèse centrale de l’ouvrage, à savoir que « l’utopie multiculturaliste, dès lors qu’elle se réaliserait, détruirait les fondements des libertés individuelles, rendrait impossible le sens civique et transformerait l’espace public en champ d’affrontements, alimentant un imaginaire de guerre civile ». Bref, une catastrophe planétaire est à nos portes. « La lutte des tribus remplacerait la lutte des classes » et l’on verrait poindre le « cauchemar de la guerre civile sans fin ». Le règne épouvantable de la balkanisation et de la libéralisation.


Fortement opposé au principe de la discrimination positive, dans l’esprit américain de l’affirmative action, l’auteur cite des cas flagrants de détournement de la politique multiculturaliste. Ainsi, au Canada, la famille Khadr, des musulmans d’origine égyptienne ,engagée dans l’islamisme radical et liée à Al-Qaida ou, aux États-Unis, le national-racisme-séparatisme de l’afrocentriste Molefi Kete Asante et, d’une façon plus générale, le communautarisme musulman. Très sensible à l’évolution lexicographique, P.A. Taguieff se demande s’il ne faudrait pas introduire les notions plus précises de communautarianisme ou de communitarisme. .Proposant comme modèle l’intégration réussie des Juifs de France et citant le professeur Ady Steg, pour lequel « la gloire de la France, c’est que l’intégration n’étouffe pas l’originalité », Pierre-André Taguieff, qui n’hésite pas à administrer une volée de bois vert aux « manipulateurs d’opinion » que sont, selon lui, les milieux d’extrême gauche, les organisations islamiques et, dans un registre analysé en détail, le nationalisme lepéniste, « variété de gnose identitaire », nous invite à ne pas nous dissimuler l’évolution anglo-saxonne de la société française. Car « nous sommes à la croisée des chemins ». Il faut défendre, estime Taguieff, tout en le repensant, le modèle républicain irremplaçable de la nation civique, celui « d’une communauté de citoyens égaux, impliquant l’idéal d’une démocratie active, ou de participation, et le principe de laïcité garantissant l’exercice de l’esprit de libre examen ».

Notre choix est clair. Il faut opter pour l’humanisme qui libère contre le communautarisme qui enferme.

Un travail essentiel de réflexion sur les problèmes les plus actuels et les plus ardus de notre temps.

Jean-Pierre Allali

* Éditions des Syrtes. Janvier 2005. 352 pages. 22€