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Publié le 4 Mai 2006

La maison sublime. L’École rabbinique & le Royaume juif de Rouen Par Jacques-Sylvain Klein (*)

Les Juifs parisiens, on le sait, ont jeté leur dévolu depuis des décennies sur Deauville et sur la Normandie qui sont, de nos jours, leur lieu de résidence secondaire privilégié. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que l’implantation juive en Normandie, est particulièrement ancienne. Grâce aux travaux de chercheurs passionnés, notamment le professeur Norman Golb, historien paléographe de l’Université de Chicago, on sait aujourd’hui, avec certitude, que l’installation des Juifs dans la région, notamment à Rouen, remonte à la colonisation romaine, c’est-à-dire aux tous premiers siècles de notre ère. Pour consolider leur conquête militaire de la Gaule, les Romains y acheminèrent des milliers de Juifs palestiniens et italiens.


Et c’est ainsi que des cultivateurs juifs, encouragés par le pouvoir romain, mirent en valeur la Normandie et que des marchands juifs avisés et entreprenants participèrent à l’essor de la région, vivant en bonne intelligence avec leurs voisins chrétiens. Un « Roi des Juifs », rex judaeorum était installé à Rouen (comme d’ailleurs à Narbonne et à Mayence). L’un d’entre eux sera Jacob Bar Jéquthiel Plus tard, les premiers ducs de Normandie, vers 911, s’appuieront eux aussi sur les Juifs normands pour le développement du territoire. Cette implantation démographique conséquente s’est maintenue de manière continue pendant un millénaire jusqu’à l’expulsion des Juifs de France ordonnée par Philippe le Bel en 1306.
Il y a trente ans, tout à fait par hasard, un édifice témoignant de ce passé glorieux a été découvert sous la cour du Palais de Justice de Rouen. Sur ce lieu, désigné sous l’appellation de Clos aux Juifs, siégeait une école rabbinique, une yeshiva médiévale, la Maison Sublime, la seule école rabbinique de cette époque au monde dont on ait conservé les vestiges.
Ancien adjoint au maire de Rouen, Jacques-Sylvain Klein, dans un ouvrage somptueux, richement illustré, nous raconte l’histoire de cette découverte archéologique qui, selon les mots de Pierre Albertini, maire de Rouen et de François Zimeray, président de la Communauté d’Agglomération de la ville, qui signent la préface, mériterait amplement d’être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.
Par-delà cette narration d’une trouvaille étonnante, l’auteur remonte le temps, à la découverte de ce judaïsme normand méconnu. Un temps où, au XIIème siècle, Rouen comptait entre 5 et 6000 Juifs, soit 15 à 20% de sa population totale. La synagogue monumentale dominait le quartier avec ses treize mètres de hauteur et sa tour centrale. Le cas de Rouen n’est d’ailleurs pas un phénomène isolé. Norman Golb a dénombré 85 sites normands attestant d’une présence juive en Normandie, telle la yeshiva renommée de Touques, à l’entrée de Deauville. Les « rues au Juifs » sont monnaie courante dans la région et de nombreux hameaux portent le nom de « Les Juifs » ou « La Juiverie ».
Un développement étonnant et très intéressant de l’ouvrage concerne l’initiative de Guillaume le Conquérant qui, à l’instar des Romains, un millénaire plus tôt, va utiliser les Juifs rouennais pour organiser, en 1066, l’immigration d’une partie d’entre eux en Angleterre fraîchement conquise. Les Juifs normands, descendants de Juifs palestiniens et italiens installés par les Romains ont ainsi contribué au renforcement de la communauté juive anglaise. Le développement des relations maritimes entre Londres et Rouen connut alors un essor sans précédent.
Par-delà la description détaillée des bâtiments de la Maison Sublime assortie de belles photographies, d’enluminures, de plans et de cartes, ce livre superbe de très belle facture est une contribution exceptionnelle à l’histoire des Juifs de France.
À lire absolument et à conserver pieusement dans toutes les bibliothèques, notamment scolaires et universitaires.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Point de Vue. Avril 2006. 128 pages. 15€