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Publié le 28 Février 2011

«La religion sans déraison» par Louis Jacobs, suivi de «L’homme face a la révélation» par Rivon Krygier (*)

Ce sont en réalité deux ouvrages distincts qui nous sont proposés ici. Le premier, « La religion sans déraison », traduit de l’anglais par Maayane Dalsace, est préfacé par Jonathan Wittenberg, rabbin de la New North London Synagogue qui fut l’un des plus proches disciples de Louis Jacobs au sein du mouvement Massorti anglais.




La préface nous permet de découvrir la personnalité de Louis Jacobs. Né en 1920 à Manchester, il grandit au sein d’une famille juive orthodoxe. Très tôt, il montre une certaine indépendance d’esprit qui n’est pas toujours bien perçue par son entourage. Son ouvrage majeur, « We have reason to believe», est jugé « hérétique». Pourtant, ce qu’il y dit n’est pas dénué de bon sens : « Pour défendre sa conviction, le judaïsme a besoin d’un discours qui répudie à la fois l’obscurantisme, la schizophrénie religieuse et la malhonnêteté intellectuelle ».



En 1960, il est appelé à occuper la haute fonction de « moral tutor » du Jew’s College. Sous la pression du Grand rabbin d’Angleterre, le docteur Israel Brodie, il doit renoncer.



Dès lors, Louis Jacobs, avec quelques amis, fonde une communauté indépendante, la New London Synagogue qui donnera naissance, plus tard, au mouvement massorti d’Angleterre. Toute sa vie, Jacobs cherchera à concilier religion et raison. Il est mort en 2006.



Rappelant que, bien que le rabbin vénitien Léon de Modène n’était pas convaincu que la doctrine de la Trinité soit totalement incompatible avec la position juive ou encore que les dix sefirot des kabbalistes ont pu être vues, par certains comme autant de modalités du divin, Louis Jacobs, considérant le dogme chrétien comme incompatible avec le monothéisme, estime qu’il « y a trois attitudes possibles pour le Juif moderne face à la question de Dieu : il peut être athée, naturaliste religieux ou supranaturaliste religieux. En d’autres termes, il peut soit nier que Dieu existe, soit réinterpréter l’idée de Dieu en termes de force ou de puissance de justice, soit enfin avoir foi dans le Dieu personnel de la tradition juive ».



Dans son exposé magistral, Jacobs pose une question fondamentale : Existe-t-il une voie dans laquelle l’apport de la critique moderne et de la recherche historique autant que l’autorité de la doctrine traditionnelle de la « Torah venue du ciel » ( Torah min ha-chamaïm », pourraient être conservés de sorte que place puisse être faite à chacun ?



En illustrant son argumentation d’exemples judicieux comme les téfilines ou la cacherout, l’auteur examine et compare les attitudes des fondamentalistes halakhiques (FH), des non-fondamentalistes non halakhiques (NFNH) et des non-fondamentalistes halakhiques( NFH). Pour lui il ne fait aucun doute que « la Torah n’est pas tout simplement tombée du ciel ; elle a connu une histoire ». Il prend même le Maharal à témoin qui estime que de même que Dieu a créé un univers inachevé afin que les hommes le perfectionnent, Dieu a créé une Torah incomplète pour que les hommes la parachèvent.



Jacobs poursuit son approche qualifiée de « supranaturaliste libérale » en analysant la notion de « peuple élu » et se penche également sur la question de l’eschatologie juive.



Un travail brillant et bien étayé.



Le second livre, « L’homme face à la Révélation » est dû à la plume de Ryvon Krigier, docteur ès-lettres, rabbin de la communauté massorti de Paris, Adath Shalom, traducteur en français, par ailleurs, de la préface de Wittenberg.



Si les motivations sont du même type que celle de Louis Jacobs ( « Nous nous proposons, dans le sillage de Jacobs, mais aussi d’Abraham J. Heschel, de revisiter la notion de « Torah révélée » »), le questionnement prend un autre biais en posant par exemple d’entrée de jeu cette question : « La Révélation est-elle le fait de Dieu seul ou comporte-t-elle le concours créatif de l’homme ? Est-elle définitive, univoque et son autorité, par voie de conséquence, absolue ? Ou est-elle, à l’inverse, dynamique, plurivoque et son autorité en quelque façon partageable ? »



Ou encore : « Quelle place accorder à l’autonomie de la raison devant l’autorité de la tradition ? ».



Le discours est parfois osé et novateur. Qu’on en juge par ces propositions : « La religion pas plus que la science ne constitue une vérité définitive » ou : « La grille de lecture est toujours relative même si l’objet de contemplation est absolu ».



Et Krygier de nous proposer une comparaison véritablement hardie : « Le métabolisme de la cellule vivante constitue probablement la meilleure métaphore pour illustrer le processus en cours dans l’évolution du judaïsme »… « Les versets de la Torah sont, comme les gênes de l’espèce, transmis de génération en génération. Ils constituent le réservoir fondamental de la mémoire collective d’Israël consignés dans un canon d’Écriture, comme le sont les gênes dans un noyau cellulaire »… « Et de même que « l’expression » sélective des gênes entreprise par le métabolisme cellulaire détermine le devenir de la cellule, de même la Loi orale régit l’usage des versets de la Loi écrite pour dicter et codifier les règles de conduite à tenir ». Un parallèle fascinant.



Pour conclure : « En somme, « la Torah provient des Cieux » (min ha-chamaïm), mais « elle n’est plus aux Cieux » (lo ba-chamaïm) , dès lors que Dieu l’a confiée à Son peuple et en a fait Son dépositaire et partenaire. C’est, dans un troisième temps, l’étude et l’application de la Torah, « au nom des Cieux » (le-chèm chamaïm), c’est-à-dire par la probité dans la recherche de la vérité et par la pureté des intentions dans l’action, qui tissent le lien indéfectible entre Dieu et Israël et étirent ainsi le fil de la Révélation et de la Rédemption ».



Passionnant.



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions Albin Michel. Février 2011. 208 pages. 17 euros.



Photo : D.R.