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Publié le 27 Septembre 2006

La synagogue de Sfax Par Claude Kayat (*)

Originaire de Sfax, en Tunisie, Claude Kayat vit depuis de longues années à Stockholm. Bravant les frimas suédois, il continue de nous offrir des récits chaleureux et ensoleillés, pleins de cet humour « tune », celui des « Magnifiques » chers à Michel Boujenah qu’il avait si bien rendu en son temps dans un premier roman « Mohammed Cohen » (1).


Avec « La synagogue de Sfax », Claude Kayat retrouve son langage finement ciselé, ses mots toujours choisis et cette verve qui va si bien à ses personnages truculents à la Marcel Pagnol.
Mais, par-delà les aventures cocasses du pharmacien Marcel Guez, de son épouse obèse, Rachel, d’Isaac Haddad, l’amant de cette dernière, grand amateur de rondeurs féminines ou encore de Mohammed Cohen en personne, glissé là comme un clin d’œil, un « private joke » à l’intention du fidèle lecteur, c’est un témoignage sur les derniers instants du judaïsme tunisien qui nous est proposé. Car au moment même où une nouvelle synagogue est édifiée, des nuages sombres s’accumulent au-dessus des têtes des Juifs de Tunisie. Les contours de l’indépendance du pays se dessinent, les Arabes sont de plus en plus réservés voire hargneux vis-à-vis des Juifs. Dans le nord du pays, les fellagas s’insurgent et les attentats se multiplient. Et, tandis que sur les ondes de Kol Tsione Lagolah, Félix Allouche, militant sioniste de la première heure, vante les mérites de la vie de pionnier en Terre sainte, les départs des Juifs tunisiens vers la France ou vers Israël s’organisent. L’exode se prépare, inéluctable. Bientôt, les commerçants arabes, les cochers de fiacres maltais, les pêcheurs siciliens et les enseignants français qui, avec les Juifs, formaient un microcosme chatoyant par sa diversité, vont laisser la place, car tel est le vent impitoyable de l’Histoire, à une Tunisie musulmane uniforme. C’est ce chant du cygne d’une Tunisie bigarrée avec ses mendiants et ses aveugles, ses pauvres et ses mécènes, ses marieuses et ses prostituées, ses musiciens et ses voleurs, qui vit ses derniers soubresauts, que nous offre Claude Kayat et nous devons lui en être reconnaissants.
Les choses iront petit à petit mais en s’aggravant. Au début, ce ne sont que les vociférations d’un charbonnier arabe : « Attendez un peu !On vous massacrera tous jusqu’au dernier. À commencer par les Juifs ! ». C’est ensuite la belle synagogue qui subit des déprédations. Un vitrail, puis deux, puis trois…Puis une porte…Les fientes d’oiseaux qui s’amoncellent dans le lieu de culte où l’on ne réussit plus à réunir un myniane, le quorum de dix hommes juifs adultes, nécessaire à la prière collective. Un Grand rabbin qui décède. Des propriétaires fonciers qui vendent à perte à des Arabes leurs maisons et leurs oliveraies. De vieux Juifs paisibles attaqués par des voyous au prétexte qu’ils sont sionistes : « Tiens, sale Hébreu !Voilà pour le Sinaï !Voilà pour Jéricho !Voilà pour le Golan ! ». Des gens apeurés qui se cloîtrent chez eux. Kayat raconte : « Dans ce climat de peur, les départs précipités pour la France ou Israël connûrent une nouvelle recrudescence. Si les marchands de valises réalisèrent d’excellentes affaires, la viande et le vin casher se vendirent beaucoup moins. Privé de sa pratique, l’unique boucher juif encore à Sfax ferma bientôt boutique et fit ses malles, ce qui sonna le glas de la communauté israélite de la ville ». Pour subsister et pour conserver leur emploi dans un environnement hostile, certains Juifs, tel Fraïm Lévy, chauffeur de poids lourds, sont amenés à se convertir à l’islam. Aujourd’hui, mille Juifs demeurent encore en Tunisie dont une dizaine à Sfax.
Désormais, c’est à Paris, Marseille ou Tel-Aviv que les Juifs tunes peuvent déguster la kémia, boire la boukha ou se lécher les doigts après avoir avalé makrouds, zlabias et autres pâtisseries dégoulinantes de miel. Il était une fois des Juifs en Tunisie.
Un roman très sympathique.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Punctum. Septembre 2006. 192 pages.15€
(1) Éditions du Seuil. 1981.