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Publié le 19 Novembre 2007

Laisser partir par Alain Suied(*)

On le sait, la poésie, en France, n’est pas à la une de l’actualité. La situation est sensiblement la même pour ce qui de la poésie de sensibilité juive. C’est pourquoi, à l’heure où le verlan, langage supposé branché, déferle sur la jeunesse et où la pratique effrénée des SMS entraîne une terrifiante distorsion de l’orthographe, base même de notre langue, il est réconfortant de voir que subsiste, minoritaire, certes, mal connue, une école française de poésie qui maintient vivace, contre vents et marées et à l’opposé des modes superficielles, souvent venues d’ailleurs, la beauté, le rythme, la profondeur du français. Et il est non moins agréable de savoir que l’un des chefs de file de ce courant est un Juif d’origine tunisienne, le tenace et sympathique Alain Suied.


Avec la publication de son nouveau recueil, huit titres de dix stances chacun, un équilibre parfait, Suied, nous invite à partager ses peurs, ses angoisses existentielles et sa confiance en ce seul sentiment qui peut et doit sauver le monde : l’amour.
« Le pain des mots et l’eau de la voix portent la trace de la blessure qui nous relie au monde ». Oui, les poèmes écrits doivent être lus à haute voix afin que le suc de leur substantifique moelle, émerge au grand jour. Il faut crier et crier encore, l’infinie solitude de l’homme, livré à lui-même en ce monde, abandonné en quelque sorte à son sort par un Dieu caché, après la contraction de la divinité en elle-même, selon la théorie du tsimtsoum.
« L’objet est inaccessible.
Il est déjà perdu
Ou ce n’est pas un objet, peut-être ?
Erre-t-il dans le monde ?
Habitera-t-il un jour à nouveau
Dans le cœur des hommes ?
Est-il une promesse, une intuition, un rêve ?… »
Alain Suied se positionne comme le poète de la déchirure. Une déchirure qui est celle de l’homme juif conscient de la brisure initiale des vases, de cette chevirah, chère au cabbaliste Isaac Louria, que seule une réparation, un tiqqoun humain, par la voie du repentir, de la téchouva, pourra corriger.
Pessimiste, Suied affirme : « Réparer : nul ne peut réparer », mais il laisse néanmoins transparaître, au fil des pages, malgré « l’impossible consolation », la force de l’amour.
« Dans le rire de l’infini
dans le regard amoureux
dans la secrète présence
tu retrouves l’aurore perdue »
Car, nous dit Alain Suied : « Il est temps de vivre ! »
Avec son langage finement ciselé, Alain Suied apporte un vent de fraîcheur sur une langue attaquée de toutes parts par une déferlante de médiocrité et de corruption. Il faut encourager ce dernier des Mohicans.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Arfuyen. Avril 2007. 116 pages. 13€