Dès le premier article du premier numéro, on est subjugué par la qualité exceptionnelle des textes. Et même si l’Amérique, omniprésente, obsessionnelle, traverse les textes, la riche variété des études proposées ne lasse jamais le lecteur. À la découverte de la véritable « pathologie nationale » qu’est devenu en Europe en général et en France en particulier, l’antiaméricanisme, « une relation d’amour-haine » qui « a de beaux jours devant elle », Pascal Bruckner note que « Les mêmes qui brûlent la bannière étoilée se précipitent dans les fast-foods, ne voient que des films « made in USA » et vomissent le géant américain dans les symboles mêmes de l’Amérique ». Amérique encore avec Anne Norton qui traite de Léo Strauss et des néo-conservateurs. Amérique, toujours, avec un Grand Dossier autour de l’intervention américaine en Irak. Trois ans après, où en sommes-nous ? Antoine Basbous, à travers la « question chiite », évoque l’éventualité d’un remodelage des frontières et Kendal Nezan se penche sur l’éternelle revendication nationale kurde. Sans oublier le Pakistan. « Faut-il avoir peur du Pakistan ? » se demande Bruno Tertrais qui affirme que contrairement à ce que l’on pourrait craindre « Il n’y a pas réellement de risque de prise du pouvoir par les islamistes au Pakistan. Les mouvements d’inspiration religieuse ont une capacité d’attraction limitée, ils sont extrêmement divers et divisés ». L’Amérique, c’est aussi Cuba, « comme neige au soleil », dont la décrépitude annoncée est examinée à la loupe par Olivier Languepin et le Mexique, avec le drame perpétuel des Latino-Américains qui rêvent chaque jour de passer de l’autre côté et que décrit avec brio et sensibilité Violaine de Marsangy. Plus près de nous, en Europe, les attentats du 11 mars 2004 à Madrid sont encore dans toutes les mémoires. Jean Chalvidant revient sur « le déroulement précis des événements » et « sur une réalité plus complexe » qu’on ne l’a cru car « les manipulateurs ne sont pas forcément ceux que l’on croit ». Une analyse que conforte Antonio Elorza, pour lequel « une partie de la gauche espagnole reste bloquée sur une interprétation simpliste faisant de José Maria Aznar le principal responsable de la tragédie, et cela dans un climat de complaisance à l’égard de l’islamisme ».
Dans une analyse magistrale des Protocoles des Sages de Sion, « Faux et usages de faux », Pierre-André Taguieff, retrace l’histoire de ce document devenu la base de l’attirail idéologique du « nouvel antisémitisme » tandis qu’Eric Marty met en opposition la lucidité de Michel Foucault face à l’aveuglement de Gilles Deleuze dans leur perception de l’État juif. « Un gouffre d’incompréhension » qui a séparé à jamais deux amis. Plusieurs entretiens de qualité dont l’un réalisé par Michel Taubman avec Bernard Kouchner, le « French Doctor », une rencontre avec Vaclav Havel, « L’homme de fer » (Raphaël Glucksmann), le Darfour (Jacky Mamou), Tchernobyl (Galia Ackerman), une interview imaginaire d’Emmanuel Kant par André Glucksman et bien d’autres sujets font de cette nouvelle revue une mine de savoir qui a toute sa place dans le panorama des publications françaises de qualité et à laquelle on ne peut que souhaiter une pleine réussite.
Jean-Pierre Allali
(*) N°1. Printemps 2006. Éditions Denoël. 156 pages. 15 €