Le traitement moderne par ordinateur a permis de montrer qu’à l’intérieur de la chronosphère dans laquelle il évolue, le Midrash présente une « cohérence interne impressionnante ». Souvent par le canal de l’expression récurrente « Soit dit en passant », le Midrash procède par toutes sortes de saillies : boutades, incursions inopinées dans des domaines chronologiquement et géographiquement incompatibles, jeux de mots injustifiables du point de vue linguistique ». Le Midrash, ce sont aussi bien « les dires des sages, des anecdotes, des fables, des allégories, des paraboles, des interprétations de versets bibliques égrenés mot par mot, des rébus, des plaisanteries, des envolées poétiques et mystiques et bien d’autres encore ». Sans oublier le mashal qui est toujours une comparaison, l’exégèse symbolique, les oxymorons ou énoncés paradoxaux ou l’interprétation des rêves. Pour ceux qui, non hébraïsants, n’imaginent pas tout à fait les contorsions du langage auxquelles cette méthode conduit, l’auteur, qui ne manque pas de finesse et de sel, propose cet exemple : pour dire « Néron n’est point humain », on énoncera « Nez rond, nez pointu, main ». Tiré par les cheveux mais surprenant. Tout comme « Hillel et Shamaï se chamaillent tout le temps ».
Et comme le Midrash n’est pas un simple commentaire, il n’hésite pas à combler les interstices des biographies et des annales bibliques en recueillant d’antiques traditions inconnues par ailleurs ou en inventant carrément de toutes pièces des anecdotes. Le Midrash excelle dans la méthode qui pourrait paraître incongrue, mais qui se révèle, à l’usage, très féconde, qui consiste à projeter une expression banale dans toutes sortes de directions et de brouiller les pistes de l’interprétation.
« L’histoire biblique vue par le Midrash, nous dit l’auteur, est généralement centrée sur quatre grands thèmes : la création du monde et son agencement primordial, les patriarches et l’engendrement des enfants d’Israël, Moïse et la constitution du peuple hébreu ; David et le devenir messianique du monde. Mais, quel que soit le thème abordé, le Midrash préfère au mot, à la milla, la boîte, la téva. Ainsi, par exemple, d’une notion simple, celle de « festin royal ». On peut y voir un repas somptueux digne des rois. Mais on peut aussi, comme Shakespeare dans Hamlet, imaginer des vers dévorant un roi défunt dans sa tombe !
Prenant tour à tour à témoin Platon, Philon d’Alexandrie, Isaac Heinemann, Turgot, Ferdinand de Saussure, et Michel Foucault, Jean-Georges Kahn met l’accent sur la modernité du Midrash. Les savants modernes, dit-il, « ont étudié le Midrash à l’aune des sciences humaines dans leur développement dynamique actuel : histoire, linguistique, psychanalyse, sémiotique et philosophie générale ».
Immense jeu de mot, le Midrash, pour être bien compris, doit être lu en tenant compte de l’évolution de la langue hébraïque à travers les âges.
Un régal pour les amoureux du verbe et de l’esprit.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Connaissances et Savoirs. 4ème trimestre 2006. 144 pages. 15€