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Publié le 13 Avril 2007

Le Sexe des âmes. Aléas de la différence sexuelle dans la Cabale Par Charles Mopsik (*)

« Lorsqu’un sage meurt, c’est une bibliothèque qui disparaît ». Charles Mopsik nous a quittés le 13 juin 2003. Il avait 46 ans. Le départ de ce véritable savant des temps modernes a laissé un vide immense. C’est pourquoi la parution posthume de cinq essais réunis en volume est une très bonne nouvelle pour les amateurs d’ésotérisme et de mysticisme juifs. D’autant plus que le sujet est d’une modernité remarquable : sexe, bisexualité, androgynie et, par voie de ricochet, homosexualité.


Remontant à la nuit des temps, Charles Mopsik nous explique que « de la religion des Australiens aborigènes à la mythologie grecque en passant par le zervanisme de l’ancienne Perse, et quelles que soient les formes que revêtent les dieux, il semble que la croyance en l’existence d’un couple primitif divin, sexuellement différencié ou non et qui succède souvent à un dieu premier androgyne, soit enracinée au plus profond de la conscience religieuse de l’humanité, à toute époque et en tout lieu ».
Or, ajoute-t-il, les Hébreux et, partant, la religion biblique, tout en plongeant leurs racines spirituelles dans ce corpus antique, ont évincé toute référence à cette représentation au profit du concept de Dieu unique. Toutefois, l’examen de textes peu connus permet de retrouver des traces de ces visions du monde.
Par ailleurs, note l’auteur, en ayant probablement en tête les débats actuels de société autour du PACS, de l’adoption d’enfants par des homosexuels etc…, il est indéniable qu’ « un souci contemporain de plus en plus pressant touche l’identité sexuelle et le genre ».
Et pour mener à bien une investigation poussée du point de vue juif sur ces questions controversées, douloureuses et délicates, quoi de plus naturel que de rechercher dans la cabale des éléments de réponse. Car « La cabale, considérée comme la forme médiévale de la mystique juive, comprend en effet un nombre imposant d’écrits où se reflète le souci constant d’investir le dipôle mâle/femelle de valeurs qui transcendent apparemment le marquage social des identités sexuelles ».
Comme on le sait, donner et recevoir est une conception purement biblique. Et, « pour les cabalistes, donner et recevoir sont les deux actions essentielles qui structurent le système de la vie divine tout entier ». Pour Rabbi Azriel de Gérone, par exemple, « l’Émanation n’a été émise que pour attester de l’unité dans l’Infini, et si le recevant ne s’unissait pas à l’épanchant, et l’épanchant au recevant, s’unissant en une seule puissance, on ne pourrait reconnaître que tous deux sont une unique puissance… C’est ainsi que chaque chose (ou sefira) sans exception, est épanchant et recevant. Et Rabbi Joseph Gikatila, comme en écho : « Chacun des degrés sans exception de YHVH, béni-soit-il, possède deux faces… »
Rabbi Joseph de Hamadan classe les fameuses séfirot en masculines et féminines, les unes et les autres étant cependant bisexuées, son sexe final dépendant de la tendance la plus forte. « On peut donc parler d’androgynie masculine pour les séfirot masculines et d’un type d’androgynie féminine pour les séfirot féminines.
Mopsik, donc, interroge les maîtres les plus réputés de la Cabale, Hayyim Vital, Joseph Gikatila, Azriel de Gérone, Abraham de Posquières, Joseph de Hamadan et bien d’autres, dont il décortique les textes avec acuité et originalité dans l’interprétation.
Du dieu bisexué on est passé naturellement à Adam, le premier homme, dont certains sages juifs considéraient que c’était un être à deux faces, l’une masculine et l’autre féminine et que la séparation initiale narrée par le texte biblique, qui marque le début de l’humanité a conditionné à jamais les deux sexes, chacun étant, pour l’éternité, à la recherche de sa moitié perdue. « Il n’est pas surprenant que le mariage et l’accouplement aient été considérés par les cabalistes postérieurs comme une façon de reconstituer l’homme bisexué dans sa plénitude d’avant son arrivée en ce monde où il a été coupé en deux parties disjointes ». Une séparation, donc, pour l’éternité et, chemin faisant, l’auteur finit par se poser la question ardue du sexe des âmes. Passionnant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions de l’Éclat. Janvier 2007. 256 pages. 18