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L’Histoire publie dans son numéro 270 (novembre 2002), un dossier d’une remarquable qualité, intitulé « racines de la mondialisation. De Rome à New-York ». Les historiens révèlent qu’à chaque étape du processus de mondialisation – autre façon de dire occidentalisation – une grande puissance l’a conduite :
- Rome d’abord, qui assuma à la tête de son immense empire un processus d’intégration économique et culturel, fondé autant la séduction que sur la contrainte (voir l’article de Maurice Sartre, Rome : l’empire modèle, pp. 44-48) ;
- Les Empires espagnol et portugais au lendemain des grandes découvertes, dans une entreprise autant commerciale qu’évangélisatrice (voir l’article de Joël Cornette, Le conquistador, le marchand et le jésuite, pp. 48-51) ;
- Les puissances coloniales anglaise et française au XIXe siècle, assurant à l’Europe la domination du monde. A la fin du XXe siècle et au début du XXIe, les Etats-Unis tirent le plus grand profit du progrès exponentiel de leurs échanges et, par l’intermédiaire des moyens de communication modernes, réussissent à imposer au monde sa manière de vivre. Le terme de « mondialisation » fonctionne donc aujourd’hui comme un synonyme d’« américanisation ».
Mais la puissance américaine, le Fonds Monétaire International ou le capitalisme, sont aujourd’hui accusés de tirer les ficelles en secret. Et la peur du complot a trouvé dans la mondialisation de quoi alimenter les fantasmes. Dans un long entretien qu’il accorde à L’Histoire, Marcel Gauchet, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, tente de découvrir et d’expliquer les mécanismes du rejet, de la phobie et des crispations des militants antiglobalisation de José Bové à la Conférence de Seattle.
Marcel Gauchet décrypte le portrait que les militants de l’antiglobalisation font de l’Etat d’Israël, dans ce schème :
« L’autre comploteur qui émerge assez naturellement dans cette conjoncture, en raison de ses liens avec les Etats-Unis, c’est Israël. On renoue là avec une tradition bien établie, le complot juif pour la domination mondiale.
Reste cette grosse différence par rapport à l’ancienne problématique : l’existence même d’Israël. Si les Juifs veulent dominer le monde, pourquoi leurs efforts sont-ils tendus vers la préservation d’un tout petit Etat national, avec lequel il est peu probable qu’ils parviennent à dominer le monde ou même une région du monde ?
Israël met à mal l’imaginaire antisémite classique. Car la préservation d’Israël n’est pas un but compatible avec un imaginaire du complot.
Celui-ci peut toutefois se rattraper en réinscrivant la politique israélienne dans l’ensemble de la politique mondiale. Israël n’est-il pas le bras armé des Etats-Unis dans la région, une région rendue stratégique de surcroît, par ses ressources pétrolières ? Le lobby juif - qui opère très réellement, d’ailleurs, de façon visible à Washington – n’est-il pas un candidat acceptable dans le rôle occulte de maître occulte de la politique américaine ? Les éléments du vieux mythe trouvent ainsi à se réactualiser. Mais il n’est plus ce qu’il était. »
Marc Knobel
Observatoire des médias