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Publié le 17 Décembre 2008

Le livre de la Shoah De Pierre Haïat (*)

Comment prier lors de la commémoration de la Shoah ? Quel livre utiliser pour les prières prononcées lors du Yom Hashoah ? La question est loin d’être inintéressante. En effet, s’il existe des livres de prières pour les offices quotidiens ou du shabbat, pour Yom Kippour et pour Pessah ou encore pour Pourim, la fameuse Meguilah d’Esther, si, à l’occasion de la fête de Hanoukka, la Meguilah d’Antiochus, utilisée dès le Moyen Âge a cédé la place, dans de nombreuses communautés, à des recueils plus modernes comme La chronique de Hanoukka de Haggi Ben-Artsi (1), aucun support écrit utilisable à la synagogue n’était disponible jusqu’à ce jour pour ce qui concerne le Yom Hashoah. Certes, en France et ailleurs, dans le monde, un office synagogal commémore le Yom Hashoah. Certes, depuis 2004, on lit, aux Etats-Unis, notamment au sein des synagogues massorti, un « Rouleau de la Shoah » (Meguilat HaShoah) élaboré par l’Assemblée rabbinique conservative et l’Institut Schechter d’Etudes Juives. Certes, enfin, depuis 1991, à l’initiative du MJLF, la lecture ininterrompue en place publique des noms des 76 000 déportés juifs de France s’inscrit dans la pérennité. Mais, en France, un rituel manquait.


Il a fallu une bonne dose de courage, voire d’audace et surtout une foi indéracinable pour se lancer dans cette aventure unique : écrire un rituel, un mahzor, afin de combler un vide. Et c’est tout à l’honneur du MJLF, pionnier en la matière, d’avoir accepté, après une période expérimentale en 2004, de pérenniser par une lecture, chaque année, à la synagogue, de ce livre de prières innovant, le principe d’une commémoration plus formalisée. Car il faut penser aux générations à venir. Comme le dit Pierre Haïat en préambule de son bel ouvrage, « En définitive, c’est aux générations futures qu’il appartiendra de donner à cette lecture sa continuité et son sens : lecture domestique ou communautaire ? Avec ou sans rituel symbolique ? Accompagnée ou non d’un repas ? ». L’avenir le dira. La question alimentaire, d’ailleurs, a fait débat. S’inspirant du rituel pascal, Pierre Haïat avait imaginé la présence d’aliments symboliques et, se référant très judicieusement, d’une part au fameux shiboleth (épi) qui marqua la guerre entre Galaad et Ephraïm et, d’autre part, à la couleur jaune de l’étoile imposée par les nazis, il avait choisi l’épi de maïs dont les grains compacts évoquent, par ailleurs, la promiscuité et l’entassement insoutenable des Juifs dans les wagons plombés. Autres idées avancées : du pain noir, des écorces de fruits et du vin blanc. Par « prudence », compte tenu du caractère inédit de ces pratiques, ces idées ont été abandonnées. On pourra le regretter et peut-être, un jour, referont-elles surface. En tout état de cause, pour l’heure, des jalons sont posés et un déroulement très symbolique et très émouvant, bien structuré, de surcroît, est proposé : Une ouverture ( Lifetiha), pour commencer, avec allumage des six bougies du souvenir, adresse à Dieu et hymne au Ghetto de Varsovie, le fameux Sog nit keyn mol ( Ne dis jamais…) dont la partition musicale est donnée, suivie d’un récit (Sipour Hashoah), d’un questionnement ( Liche’éla ), dans l’esprit de celui des quatre enfants de la Haggadah de Pessah, de professions de foi intitulées « La force de vie » (Lehiyout) et d’une clôture ( Sof Davar) avec des prières chantées traditionnelles : Ani Ma’amim, Shomer Israël, El malé rahamim et le Kaddish. Comme pour Sog nit keyn mol, les partitions sont présentées et le texte hébreu voyellé s’avère particulièrement bienvenu. Des pages choisies de réflexion (Hirhourim), dues notamment à la plume d’André Neher, d’Abraham Heschel, de Zvi Kolitz, de Vladimir Jankélévitch ou d’Elie Wiesel complètent une première partie constituant le rituel au sens strict. Une anthologie de textes sélectionnés avec finesse, comme Pierre Haïat sait si bien le faire, constitue la deuxième partie de l’ouvrage. Les morceaux choisis d’auteurs aussi divers qu’Anne Franck, Primo Levi, Imre Kertész, Avrom Sutzkever, Charlotte Delbo, Robert Antelme, Gilles Bernheim et bien d’autres sont réunis en quatre sections : L’identité bafouée, L’abomination totale, La mémoire assassinée, Le questionnement sans fin (Comment dire l’indicible ?, Croire encore ?, Pardonner ?, Devoir de mémoire : qu’en est-il ? et Unique et inexplicable ?)
Les textes sont tous d’une beauté inouïe et en citer quelques-uns serait faire injure aux autres. Une question domine l’ensemble : « Où était Dieu pendant ces années terribles ? ». Et un élément de réponse : « Peut-être, finalement, n’est-il pas aussi puissant qu’on l’imagine ».
Le troisième volet, à caractère plus historique, s’intitule : « Réflexions autour de la transmission de la Shoah ». Touche finale très délicate : une page blanche intitulée « Zakhor Souviens-toi » permet à chacun d’inscrire les noms de ceux, parents ou amis, disparus dans la Shoah, afin que nul n’oublie et que leur souvenir, par ce simple geste, demeure à jamais.
Car, comme le rappelle le rabbin Emil Fackenheim, même si tous les événements du matyrologe juif ont été regroupés en une date unique, le redoutable 9 av, les rabbins, dans leur grande sagesse, ont décidé que la Shoah nécessitait une commémoration spécifique, désormais fixée au 27 nissane. On conçoit, dès lors, qu’un siddour, un mahzor, puisse permettre de marquer avec plus de force cette date.
Une telle entreprise, avec ce qu’elle a, reconnaissons-le, de révolutionnaire, est-elle licite ? Dans son avant-propos, le rabbin Daniel Farhi apporte quelques éléments de réponse : « Pierre Haïat comme moi-même, nous sommes demandé à chaque instant quelle pouvait être notre légitimité à créer ainsi des rituels nouveaux, à recouvrir d’une enveloppe pouvant être considérée comme religieuse une mémoire qui, aux yeux de certains, leur appartient en propre sans que quiconque puisse se l’approprier. A ceux-là je répondrai que tout ce qui concourt, d’une manière ou d’une autre, à prolonger la mémoire des six millions de victimes de la barbarie des nazis et à empêcher, peut-être, son retour sous d’autres formes et contre d’autres minorités est légitime ».
Un travail remarquable qui mérite d’être salué.
Jean-Pierre Allali
(*) Préface de Serge Klarsfeld. Avant-propos du rabbin Daniel Farhi. Editions Parole et Silence. Avril 2008. 226 pages grand format. 20 euros.
(1) Voir notre recension du 16-06-08