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Publié le 14 Septembre 2009

Le martyre des survivants de la Shoah. 1945-1952, par Marc-André Charguéraud (*)

Inlassablement, méthodiquement et avec opiniâtreté, Marc-André Charguéraud poursuit la tache qu’il s’est assignée : publier un ensemble le plus exhaustif possible de travaux autour du thème qui le passionne : « Les témoins de la Shoah ». Après Tous coupables ? Les démocraties occidentales et les communautés religieuses face à la détresse juive, 1933-1940 (1), Silences meurtriers ! Les Alliés, les Neutres et l’Holocauste, 1940-1945 (2) et Survivre. Français, Belges, Hollandais et Danois face à la Shoah (3), on aurait pu croire, puisque la plupart des historiens des persécutions nazies contre les Juifs arrêtent leurs travaux à la victoire de mai 1945, que l’ensemble était bouclé. On se trompait car, en fait, la tragédie s’est poursuivie au delà de la fin de la Guerre et de la défaite de l’Allemagne nazie. En effet, bien qu’en général, à part les spécialistes, le grand public n’en soit pas informé, les sombres desseins d’Hitler ont connu un prolongement post-mortem et ont été, hélas, accomplis par des « démocraties populaires ». Ce sont elles qui auront écrit le dernier chapitre de la « Destruction des Juifs d’Europe » pour reprendre les termes de Raul Hilberg. Selon Charguéraud, « Ce chapitre s’est déroulé après la victoire alliée, après la disparition du IIIème Reich et de son Führer, sous les yeux du monde libre resté dans une large mesure antisémite malgré la « catastrophe juive ».



Au lendemain de la libération des camps, le monde, stupéfait, découvre l’immensité de la barbarie nazie. Des monceaux de cadavres que des pelleteuses déplacent pour les inhumer, des squelettes vivants qui déambulent à perte de vue. Le général Eisenhower est abasourdi. « Jamais, affirme-t-il, on n’aurait imaginé une telle sauvagerie, une telle bestialité ». Quant aux sinistres « marches de la mort », elles auront permis, après le démantèlement des chambres à gaz et des fours crématoires, de poursuivre la politique d’extermination systématique des Juifs.
À la Libération, le nombre de DP, personnes déplacées, s’élève à quelque 7 millions d’individus. Dans un Reich en plein chaos, les armées victorieuses sont bien incapables d’assumer une telle charge. Les exemples d’abandons sont légion. « Dans le seul camp de Bergen-Belsen, au cours des semaines qui ont suivi la Libération, plus de 14 000 personnes sont mortes de maladies ou tout simplement d’épuisement extrême ». Aux États-Unis, le président Truman qui essaie, tout à la fois, de satisfaire ceux, qui, dans son pays, verraient d’un mauvais œil l’arrivée massive de Juifs européens et son électorat juif, envoie un enquêteur sur place, Earl Harrison. Celui-ci, quoique prudent, ne manque pas de mettre en évidence, dans son rapport, le sort scandaleux réservé aux Juifs par l’armée américaine. On découvre, à l’occasion, que le célèbre général Patton, commandant de la troisième armée est rien moins qu’un antisémite hargneux. Charguéraud nous propose des extraits éloquents de son journal : « Si les Juifs n’étaient pas sous bonne garde, ils ne resteraient pas dans les camps, mais s’égayeraient comme des sauterelles et devraient éventuellement être arrêtés après qu’un certain nombre auraient été tués et qu’un nombre important d’Allemands auraient été dévalisés ou assassinés »… « Il y a encore énormément à faire surtout parce que, dans la plupart des cas, le type juif est dans sa majorité un exemple de sous-espèce sans les raffinements culturels et sociaux de notre temps. Je n’ai jamais vu un groupe de gens qui semble plus manquer d’intelligence et d’esprit ». Patton sera relevé de ses fonctions.
Un cas extraordinaire et tragique est celui des Juifs polonais d’URSS. Sur les 200 000 Juifs que le JOINT dénombre dans les camps de personnes déplacées des zones d’occupation occidentale, 140 000 sont des Juifs polonais dont les deux tiers ont passé les années de guerre en URSS. « Bien que hors de portée des sévices nazis, ils ont pour un grand nombre d’entre eux vécu l’horreur des camps de travaux forcés en Sibérie, plus connus aujourd’hui sous le nom de goulags ». Et, paradoxe, alors que les nazis ont assassiné près de trois millions des leurs, c’est en Allemagne qu’ils ont cherché refuge après la Guerre. Au total, sur les 400 000 Juifs polonais et baltes qui ont été déportés en URSS, 250 000 ont survécu et 150 000 ont disparu, victimes de la faim, des mauvais traitements, de l’absence de soins et des épidémies.
Sur ces 250 000 survivants, 50 000 ont choisi de rester en URSS. Aux termes de deux accords signés entre l’URSS et la Pologne, 200 000 sont revenus dans leur pays d’origine en espérant sincèrement y recommencer une nouvelle vie. Hélas, l’antisémitisme dont la société polonaise est infectée ne leur en laissera pas l’occasion. Des pogroms se déroulent dans une douzaine de villes, le plus meurtrier ayant lieu le 4 juillet 1946, à Kielce. Dès lors, c’est l’exode massif. Face à ce déferlement de haine, l’aide internationale sera largement insuffisante. Quant aux États-Unis, conformément à leur politique traditionnelle, ils n’ouvriront pas massivement leurs frontières, les Britanniques, on le sait, bloquant de leur côté l’accès à la Palestine pour ceux désireux de rejoindre le yichouv. Finalement, c’est Israël qui sera pour beaucoup le havre final salvateur. « Ben Gourion obtiendra sa victoire. La naissance de l’État d’Israël n’est due ni aux Britanniques, ni aux Américains, ni aux Nations unies, mais à la volonté du yichouv. Devant l’inaction du monde, il a pris l’initiative avec tous les risques que cela comporte et il a gagné. L’État d’Israël est devenu le « foyer juif » pour les Juifs persécutés, pour tous ceux qui sont rejetés dans des conditions abjectes par leurs compatriotes. Ils sont au fil des années deux millions, un chiffre effarant dans un monde où les Alliés à l’Ouest et à l’Est dominent le monde. L’Europe centrale et de l’Est , le Proche-Orient et l’Afrique du Nord musulmans sont devenus quasiment « judenfrei ». Hitler aurait applaudi à cette « collaboration inattendue et scélérate que le monde a voulu ignorer, une tragédie sur laquelle l’histoire ne s’est pas appesantie ».
Remarquable.



Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Labor et Fidès/Cerf. Préface de Claude Bochurberg. Mars 2009. 288 pages. 24 euros.
(1) Éditions Labor et Fidès/Cerf. 1998
(2) Éditions Labor et Fidès/Cerf. 2001
(3) Éditions Labor et Fidès/Cerf. 2006. Voir notre recension du 16-04-2007