« La mort d’un fils, dit son ami Élie Wiesel, équivaut selon le Talmud, à la destruction du Temple ». L’écriture, ici, est, en quelque sorte, une reconstruction. Et le même Wiesel de lui conseiller : « Laisse ta main écrire, tu verras, cela viendra ».
Bien qu’auteur d’une thèse de doctorat en littérature sur Michel Butor, il avoue, humblement, d’entrée de jeu : « Je ne suis pas un écrivain, encore moins un romancier ». Pourtant, le lecteur, dès les premières pages, est pris par un texte fort agréablement écrit.
C’est le 24 mars 1992, que Yehuda Lancry, nommé peu avant par David Lévy, ministre des Affaires étrangères, débarque à Orly avec son épouse et ses deux fils.
Des anecdotes ponctuent la relation de sa mission en France comme ce cadeau fait à François Mitterrand d’un ouvrage de Michel Butor acheté chez un bouquiniste des quais de la Seine. « Je suis d’autant plus touché par votre geste, lui dira le président français que vous êtes allé chercher ce livre chez un bouquiniste ». Ou encore, la fureur de Pierre Bérégovoy, persuadé que Lancry est l’instigateur d’une manifestation du Betar !
Plus tard, Raymond Balladur, candidat à la présidentielle de 1995, lui glissera que si Jérusalem appartient, certes, aux trois grandes religions, elle appartient un peu plus aux Juifs qu’aux autres.
À l’heure où Alain Juppé fait une réapparition remarquée sur la scène politique gouvernementale française, on notera cette appréciation : « Il faut reconnaître à Juppé une certaine faculté de prémonition ».
Bien entendu, au cours de sa mission en France, Yehuda Lancry aura à cœur de maintenir un contact étroit avec la communauté juive : « Pour un ambassadeur d’Israël à Paris, la communauté juive de France représente un véritable enjeu ». Il nouera des liens privilégiés avec David de Rothschild, Jean Kahn, Pierre Besnaïnou, Henri Hajdenberg, Richard Prasquier, Roger Cukierman, Roger Pinto, Gil Taïeb, Henri Boré, Gladys Tibi, Robert Parienti, l’ingénieur général Michel Darmon, Sydney Ohana et bien d’autres encore.
19 novembre 1999. Laissant son fils Nadav, accompagné de sa mère, Yolande, achever une licence à l’université Bar Ilan en Israël, Yehuda Lancry, arrive à New York avec Ran. La tâche va être rude car Israël, attaqué de toutes parts par une majorité hostile, n’a pas bonne presse aux Nations unies. « Pour ma part, tout en reconnaissant dans sa pleine étendue ce terrain fortement accidenté dans la relation avec les Nations unies, je n’entendais pas me perdre dans la confrontation tous azimuts et creuser encore plus la solitude d’Israël. Il m’importait, d’emblée et dans l’usage responsable de mes prérogatives, de faire avancer autant que possible nos relations avec l’ONU ». Et, de fait, Yehuda Lancry, privilégiant une valorisation d’un « dialogue promoteur de paix et de coexistence » va, au cours des mois, tisser des liens, notamment avec des représentants arabes comme Mohamed Bennouna, ambassadeur du Maroc, Mokhtar Lamani, ambassadeur de l’Organisation de la Conférence Islamique, avec Papa Louis Fall, ambassadeur du Sénégal ou encore avec Jean-David Levitte qui lui dira un jour : « Sur le droit au retour des réfugiés palestiniens, Israël a un argument béton : la communauté internationale, dans sa grande majorité, comprend bien qu’Israël ne peut aller vers son suicide ».
L’ambassadeur d’Israël va pouvoir inscrire à son actif des éléments très positifs comme l’admission d’Israël au groupe régional occidental, mettant fin à une injuste anomalie.
Toutefois « L’effort palestinien au Conseil de sécurité, un imperturbable djihad diplomatique que sous-tendent des attentats suicides ravageurs, se poursuit dans une ténacité morbide ». C’est l’époque des attentats meurtriers du Delphinarium à Tel-Aviv et de la Pizzeria Sbarro à Jérusalem. Scandaleusement, la communauté internationale se cantonne dans « la réprobation de la violence des deux antagonistes ». Plus tard, ce sera « le massacre imaginaire de Jénine ». Et ainsi de suite jusqu’au « dernier virage » de la mi-septembre 2002, lors de la 57ème Assemblée générale de l’ONU et la fin de la mission de Yehuda Lancry.
Des pages très intéressantes sont consacrées à l’Afrique. En 2001, Yehuda Lancry participe à un périple en Afrique de l’Ouest : Togo, Côte d’Ivoire et Sénégal. À l’heure où la situation en Côte d’Ivoire est toujours trouble, l’appréciation de l’ambassadeur israélien sur Laurent Gbagbo est édifiante. On découvre que c’est un ami de Shimon Peres qui en impose par sa maîtrise du dossier proche-oriental, « profondément motivé par l’échange sur Israël ». On pense aux déboires de MAM en Tunisie quand on lit sous la plume de l’ambassadeur qu’il a refusé l’avion privé que Gbagbo lui proposait pour rejoindre Dakar, s’en tenant, fort opportunément, au vol régulier d’Air Afrique.
En mars 1994, Yehuda Lancry effectuera au Maroc un retour vers la « sève de l’origine ». Cela nous vaut des pages sensibles et émouvantes.
Un livre fort. Un beau témoignage.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Albin Michel. Octobre 2010. 288 pages. 20 euros.
Photo : D.R.