Le sujet de son nouveau livre se retrouve, mais de manière éparse, dans son travail précédent. L’avantage incontestable, cependant, de cette étude, est de réunir l’ensemble des connaissance sur le mouvement juif ouvrier et, notamment, sur ses débuts avec la création du Bund et, en contrepoint, celle du sionisme politique. « Les origines du mouvement ouvrier juif, c’est une saga, un brin de fierté, l’honneur de nos arrières grands-parents, le désir ardent de sauvegarder une identité propre dans la « prison des peuples » du régime tsariste, de rechercher l »égalité et acquérir des droits, devenir citoyen à part entière tout en revendiquant son particularisme » nous dit l’auteur en préambule.
Après avoir décrit minutieusement la société juive de la fin du 19ème siècle, évoqué l’apparition d’une classe ouvrière juive et la condition misérable du prolétariat juif, Henri Minczeles montre combien il fut difficile pour les Juifs à franchir le cap pour se constituer en partis politiques, passant de la « Hevra », la communauté fraternelle des croyants aux luttes sociales.
En 1870 et 1871, les premières grèves éclatent dans les manufacture de tabac de Vilna, dans les unités de production de Byalistok et dans les filatures de coton de la Neva. Plus tard, en 1885, c’est le Cercle de Vilna, un groupe juif, qui déclenche la grève des ouvrières de bonnetterie. Plus tard encore, en 1889-1890, les cercles juifs se rassemblent à Vilna. Le groupe social-démocrate juif est fondé sous la direction d’Arkadi Kremer, « der Taté », le père du Bund, et de ses amis : Samuel Gojanski, John Mill, Tsema’h Kopelson, Abraham Mutnik et Vladimir Kossovski. On sera reconnaissant à Minczeles de nous faire redécouvrir des personnages passionnants mais oubliés comme Avram Gordon, Samuel Rabinovitch, Itzhok Mord’he Pezachon, Julius Martov et tant d’autres et de nous rappeler qu’il existait un mouvement socialiste juif conséquent à Varsovie. Sans oublier ce qui se passait également dans le monde yiddish des Etats-Unis, du Canada, d’Amérique du Sud, de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et, bien entendu, de France où se multiplièrent à l’époque, les « Landmanshaften ».
Un chapitre est consacré à la création du Bund, le « Yiddisher Arbeter-Bund in Russland un Polyn » , en 1897 à la même époque que le Congrès de Bâle qui donne naissance au sionisme politique. Deux visions presque antagonismes du monde juif. « L’antisionisme militant du Bund n’a eu d’égal que l’antibundisme des troupes sionistes de droite et de gauche, bien que de nombreux points de doctrine leur soient communs, notamment avec les Poale Tsion ».
Des tableaux chiffrés, des notices biographiques, des poèmes, des repères chronologiques et une iconographie complètent cet ouvrage intéressant et chaleureux.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Syllepse. 2010. 222 pages. 22 euros.
(1)Éditions La Découverte, 1992.
(2)« Une histoire des Juifs de Pologne. Religion. Culture. Politique ». Éditions La découverte, 2006. Voir notre recension dans la Newsletter du CRIF en date du 12-07-2006.
(3)« Les Litvaks. L’héritage universel d’un monde juif disparu ». Avec Yves Plasseraud et Suzanne Pourchier. Éditions La Découverte, 2008. Voir notre recension dans la Newsletter du CRIF en date du 16-03-2009.
Photo : D.R.