Au milieu des palaces, des casinos et des maisons de thés, on avait aussi bâti des synagogues. Dans « Moi, reine de Saba » (2), la vie et le destin de Balkis, la compagne du roi Salomon, nous était contée avec brio. Dans « Cacao » (3), c’est le monde des Marranes qui ont fui l’Inquisition , qu’à travers les tribulations de Lune, femme de tête et femme de cœur, l’auteur nous décrit. On pourrait multiplier les exemples.
Avec son nouveau roman, Michèle Kahn prend quelques risques. Le personnage central de son récit continue, de nos jours, d’être contesté. Comme le sont toujours ces dirigeants juifs qui, dans la tourmente, ont accepté de jouer un rôle délicat et dangereux, celui de rouage obligé entre l’occupant allemand et la communauté juive. C’est ainsi que naquirent, perverse invention des nazis, les Judenräte. Des sauveurs pour les uns, des traîtres pour les autres.
Il aura fallu une fantaisie du destin pour qu’un modeste rabbin adjoint de Berlin, devienne le meneur d’âmes d’une communauté orientale, à mille lieues de sa façon d’être, de sa langue et de sa civilisation. C’est en 1932, que Kurt Blumenfeld, président de la Fédération Sioniste d’Allemagne proposa à Zvi Koretz, le poste vacant de Grand rabbin de Salonique. Originaire de Rzesów, ville austro-hongroise devenue polonaise, Zvi Koretz parlait parfaitement l’allemand, l’hébreu, le russe, le polonais et le yiddish et avait des connaissances en grec, en latin, en français et en anglais. Mais le judéo-espagnol, le judesmo, point. Qu’à cela ne tienne, il s’y mettrait. Et il accepta. Malgré l’accueil un peu froid, à son arrivée, des quarante rabbins de la ville, il réussit à s’imposer.
À l’expiration de son contrat, Zvi Koretz aurait pu retourner chez lui avec son épouse et son fils Léo. Ou tenter sa chance vers d’autres horizons puisque des bruits de bottes inquiétants parvenaient d’Allemagne. Il choisit de rester à son poste, scellant ainsi son destin.
En 1941, Salonique, la « Jérusalem des Balkans » est investie par les blindés allemands. Des milliers de familles juives se retrouvent en danger de mort. Le Grand rabbin Koretz va tenter de louvoyer, croyant fermement aux promesses du SS Hauptsturmführer Aloïs Brunner et à celles de son alter ego Dieter Wisliceny. Son courage et, peut-être, sa naïveté, le conduiront peu à peu vers les camps de la mort comme 45 000 Juifs de la ville, soit 95% d’entre eux. Michèle Kahn a choisi de réhabiliter ce personnage qu’elle nous présente comme très attachant malgré sa froideur apparente. Une découverte. Un très beau livre.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Rocher/Vladimir Fédorovski.Octobre 2010. 288 pages. 17,90 euros.
(1) Éditions Flammarion, 1977. Réédité aux Éditions du Rocher en 2010.
(2) Éditions Bibliophane-Daniel Radford, 2004.
(3) Éditions Bibliophane-Daniel Radford, 2003.
Photo : D.R.