Cela n’empêche pas l’auteur de nous signaler qu’à son grand effarement, « dix-huit grandes familles détiennent le pouvoir économique du pays et lui dictent un ordre du jour à leur convenance ». Comme quoi il y a 18 et 18 !
En son temps, l’actuel président de l’Etat, Shimon Peres (2), avait, pour sa part, limité à sept le nombre des héros fondateurs : David Ben Gourion, Levi Eshkol, Berl Katzenelson, Nathan Alterman, Ernst David Bergmann, Moshé Haviv et Yonathan Netanyahu. Seuls Ben Gourion et Levi Eshkol se retrouvent dans la liste d’Eytan qui innove par rapport à Shimon Peres en introduisant deux femmes dans son Panthéon : Golda Meir et la chanteuse Shoshana Damari rejointes, outre les deux incontournables précités, par Menahem Begin, Moshé Dayan, Abba Eban, Isar Harel, Itzhak Shamir, Shimon Peres, Itzhak Rabin, Ariel Sharon, Teddy Kollek, Shlomo Hillel, Yeshayahou Leibowitz, Yuval Neeman, Haïm Nahman Bialik et Eliezer ben Yehuda.
Sévère à l’égard d’Israël, Freddy Eytan considère qu’ « Israël célèbre son soixantième anniversaire en grande pompe, mais le cœur n’est pas à la fête et le mécontentement gronde », que « les parois de l’Etat s’enlisent » et que « le système politique, économique et social s’effrite ». Et il ajoute : « Le fossé entre riches et pauvres se creuse à un rythme vertigineux et pourrait mener au bord de l’abîme ». Sans parler du fait que, selon lui, « La majorité des Arabes israéliens vivent dans des conditions de vie inacceptables et sont plongés dans la misère ». Bref, « L’Etat juif est devenu, hélas, un monstre froid et indifférent » dont l’armature morale s’effrite et dont « la société se désagrège progressivement. Alors, pour remonter le moral, quoi de plus réconfortant de remonter le temps à la rencontre des 18 héros choisis par l’auteur car, nous rappelle-t-il « Le peuple israélien est unique, riche de sa jeunesse, de sa diversité et de son histoire millénaire. Il est toujours capable de faire des miracles ». Et l’un des chemins de ces miracles, n’est-il pas de prendre exemple sur les Anciens qui ont façonné le pays ?
Chaque portrait est assorti d’une ou plusieurs photos et l’accent est mis sur des anecdotes peu connues.
Ainsi, de Ben Gourion, traumatisé à l’âge de onze ans, par la mort en couches de sa mère, Sheindal, Ben Gourion dont il faut rappeler qu’il proclama, le 5 décembre 1949, Jérusalem, capitale éternelle d’Israël. Si Ygal Amir, l’assassin d’Itzhak Rabin, est encore dans toutes les mémoires comme « le Juif » qui a tué l’un de ses frères, qui se souvient aujourd’hui de l’attentat du 29 octobre 1957 devant la Knesset, le Parlement israélien où un déséquilibré, Moché Doweik lança une grenade sur Ben Gourion et ceux qui l’accompagnaient, blessant gravement le ministre des Cultes, Moshé Shapira et, superficiellement, Golda Meir et David Ben Gourion. L’auteur, originaire de Tunisie, nous rappelle également qu’à l’instar de plusieurs leaders israéliens, Ben Gourion était très réservé à l’égard d’une alyah des Juifs orientaux, considérés comme de qualité médiocre. A André Chouraqui venu lui présenter son ouvrage sur Theodor Herzl, le Vieux Lion, qui n’avait pas que des qualités, répondit avec morgue : « Avec un nom pareil, comment pouvez-vous écrire un livre sur le fondateur du sionisme ?! ».
Levy Eshkol, qui se mariera trois fois et dont l’épouse, Myriam, ancienne bibliothécaire à la Knesset, sera tout à la fois son porte-parole et sa conseillère, avait la particularité de s’endormir au cours de cérémonies publiques et de rêver en russe à haute voix.
Née à Kiev, fille d’un modeste menuisier, Golda Mabovitch deviendra Golda Meir, la « Dame de fer d’Israël » qui fut le premier ambassadeur de l’Etat hébreu à Moscou. Golda, qui, elle aussi, fut très méprisante, rappelle Freddy Eytan, à l’égard des Juifs venus du monde arabo-musulman, selon elle « des Juifs arrivant des extrémités de la terre, analphabètes et illettrés… ». Ce qui ne l’empêchera pas d’être très populaire chez les femmes africaines.
D’origine russe, Mehahem Begin, qui combattra les Allemands au sein de l’armée polonaise libre du général Anders, se distinguera par ses vêtements fripés et de piètre qualité. Cela ne l’empêchera pas d’être sacré « Roi d’Israël » par la population.
De Moshé Dayan, le fameux général borgne, on apprend que lors de son mariage, célébré en 1935 à Nahalal, par un rabbin yéménite, des Bédouins de la région jouaient de la flûte et tambourinaient sur des darboukas. Particulièrement matérialiste, Dayan faisait souvent payer très cher ses interviews, même au seuil de la mort. Cinq jours avant de succomber à la maladie, il vendit sa collection d’objets archéologiques au musée d’Israël pour la coquette somme d ‘un million de dollars !
Père de la diplomatie israélienne, le Lituanien Abba Eban est né en Afrique du Sud et a grandi en Grande-Bretagne. Sa connaissance parfaite de l’arabe lui permet de surprendre des conversations intéressantes à l’ONU. C’est lui, on s’en souvient, qui tiendra tête au général de Gaulle à la veille de la Guerre des Six Jours.
Isar Halperin alias Isar Harel n’a jamais fêté son anniversaire. Et pour cause : son acte de naissance, caché dans un volume du Talmud, a disparu lors de la Révolution russe. Ce « Mémouné », qui sera l’un des hommes les plus puissants du pays a dirigé les services secrets israéliens. Parmi ses coups de maître, la capture d’Adolf Eichmann, la saisie du discours de Krouchtchev sur les atrocités staliniennes et la libération de Yosselé Shumacher, un enfant de neuf ans kidnappé par son grand-père, adepte de la secte antisioniste des Natoureï Karta.
Iitzhak Yzernitsky alias Shamir, né en Pologne, en 1915 a rejoint la Palestine en 1935 ou il prend le nom de guerre de Michaël. Homme d’action et de l’ombre, il aura dirigé le pays pendant plus d’une décennie.
L’actuel président de l’Etat d’Israël, Shimon Peres est le petit fils d’un rabbin biélorusse, Zalman Persky et le cousin de la fameuse actrice américaine, Lauren Bacall. Il a onze ans quand il débarque en Palestine. Bien qu’en dents de scie, sa carrière politique sera particulièrement riche. Fidèle de François Mitterrand, Peres ira jusqu’à lui « pardonner » ses accointances avec René Bousquet. A près de 85 ans, Shimon Peres n’a rien perdu de son art de vivre, de son élégance, voire de sa coquetterie : « Peres est un bon vivant et un gourmet. Il adore les mondanités. Il fréquente les meilleurs restaurants, aime la bonne chère (non kasher) et le bon vin. On peut même le remarquer tard dans la nuit en compagnie d’amis dans un bar…ou le voir danser avec une belle blonde. Il a confié à des amis qu’il voudrait que sur sa tombe on inscrive cette épitaphe : « Mort avant son temps ».
Iitzhak Rabin, fils de l’ukrainien Néhémia Rubistsheiv est né à Jérusalem le 1er mars 1922. Excellent footballeur et bon tennisman, grand amateur de whisky et de gros cigares, il restera dans les mémoires comme un grand militaire et un grand homme politique, prix Nobel de la paix. C’est sous son autorité que le célèbre raid d’Entebbe en Ouganda sera organisé.
Né en Palestine en 1928, Ariel Scheinerman alias Sharon, est l’un des personnages les plus controversés d’Israël, marqué par de nombreux drames personnels. « Bon vivant, Sharon est un bourgeois paysan aimant la bonne chère, les plaisanteries et la causticité ». Il est tombé dans un coma irréversible depuis le 18 décembre 2005.
C’est en Hongrie, près de Budapest que naît, en 1911, Herzl Teddy Kollek. Jeune banquier chez Rothschild, il choisit de rejoindre la Palestine. Celui qui sera un grand maire de Jérusalem, où il invitera les plus grandes vedettes de cinéma d’Hollywood, est décrit comme « aimant la bonne chère et les sucreries », sermonné constamment par Ben Gourion : « Tu es trop gros, mon ami ! Fais un régime ! ». Il prendra l’initiative audacieuse à l’époque, de nommer un séfarade, André Chouraqui, comme premier maire-adjoint de la capitale.
C’est à Bagdad, en Irak, qu’est né Shlomo Hillel. Il a onze ans quand sa famille décide d’émigrer en terre d’Israël. Engagé par le Mossad en 1946, il devient l’un des hommes les plus secrets du pays. On lui doit la réussite de l’opération « Ezra et Néhémie » qui permettra le transfert en Israël de dizaines de milliers de Juifs irakiens. Ambassadeur dans plusieurs pays africains, il sera président du Parlement.
La chanteuse Shoshana Damari appartient à un tout autre registre. Née en 1923 au Yémen, elle émigre avec sa famille en Palestine en 1925. Surnommée « La Lollobrigida d’Israël », on la compare à Edith Piaf et à l’Egyptienne Oum Khalsoum (et non Oul Keltoum. Eytan a une propension à mal orthographier certains noms comme l’infâme mufti de Jérusalem, Hadj Amine El Husseini qui devient sous sa plume Gaj Amin el-Husseini). En 2005, elle sort un dernier album avec une jeune interprète d’origine éthiopienne, Idan Reihel.
Yuval Neeman aura été l’un des plus grands scientifiques israéliens. Ce sabra, né en 1925, titulaire de nombreuses distinctions, a été un pionnier dans le domaine de la recherche nucléaire et dans l’aéronautique, un temps ministre de Menahem Begin.
Si la présence parmi les 18, de Haïm Nahman Bialik, le poète national et celle d’Eliezer ben Yéhouda, l’artisan de la renaissance de l’hébreu se justifient, celle du philosophe contestataire, Yeshayahou Leibowitz n’était peut-être pas utile. N’oublions pas qu’il osa dire des soldats de Tsahal que leur attitude rappelle « la bestialité du nazisme », ce qui est pour le moins insupportable.
Des repères chronologiques très utiles complètent cet ouvrage particulièrement intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Alphée-Jean-Paul Bertrand. Monaco. Novembre 2007. 288 pages. 19,90 euros
(1) Pour la petite histoire on notera que cette prière, le « Chmoné Esré » (18 en hébreu), comporte en réalité 19 bénédictions
(2) Shimon Peres. L’héritage des sept. Editions Stock. 1981.