Maximilien Aue nous plonge dans ses mémoires d’ancien nazi et raconte son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucun remord. Dans les premières pages, il affirme au lecteur que ce qu’il a fait, n’importe qui l’aurait fait et ajoute avec audace : « Je suis un homme comme les autres, je suis un homme comme vous. » Persuadé que le citoyen en temps de guerre perd un autre de ses droits, celui de ne pas tuer, il argumente sa pensée : « L’homme debout au-dessus de la fosse commune, dans la plupart des cas, n’a pas plus demandé à être là que celui qui est couché, mort ou mourant, au fond de cette même fosse. »
Contrairement à l’idée que nous nous faisons du bourreau, l’homme – parce qu’il s’agit bien d’un homme, d’un être humain comme vous et moi, aussi difficile à admettre – est cultivé et intelligent. Docteur en droit, il aime la littérature, et pas seulement antisémite, puisqu’il connaît les grands auteurs classiques, comme Flaubert et Stendhal. Il apprécie également la musique, particulièrement celle de Bach et de Rameau. Dans un autre contexte, on pourrait facilement avoir une conversation avec lui. D’ailleurs, lui ne s’en prive pas et discute aisément de musique avec « le petit juif Yakov », à qui il souhaite offrir des partitions.
Il reste toutefois un personnage torturé et frustré par un lourd passé familial. Il a une personnalité perverse et obscène.
Le lecteur suit son parcours, et à travers lui, les différentes étapes de la guerre. En effet, Maximilien Aue est partout. Il participe au massacre des Juifs ukrainiens ; il est envoyé à Stalingrad ; en France, il prends contact avec le noyau antisémite de la capitale ; il est ensuite chargé de la production des camps nazis, notamment à Auschwitz ; il gère, aux côté de Eichmann, la déportation des Juifs de Hongrie puis l’évacuation des camps ; enfin, il survit aux bombardements de Berlin par les alliés.
« Ce que j’ai fait, je l’ai fait en pleine connaissance de cause, pensant qu’il y allait de mon devoir et qu’il était nécessaire que ce soit fait, aussi désagréable et malheureux que ce fût. » Comme beaucoup de nazis, il est consciencieux et professionnel. L’une de ses principales préoccupations est la préservation de la main d’œuvre utile au Reich. A propos des détenus des camps, les Häftlinge, il précise : « (…) ce n’était pas leur sort individuel qui me préoccupait, mais leur sort collectif. » En effet, tout est une question de rendement, de production sans oublier, bien sûr, la pureté de la race.
Il est la représentation même du cadre nazi qui allie réalisme et folie nationale-socialiste. Il supporte mal les massacres des Juifs. Souvent malade, il vomi et souffre de diarrhées chroniques. Pour autant il n’excuse rien. Reprenant la thèse de Marx à propos de l’ouvrier aliéné par rapport au produit de son travail, il explique que « dans le génocide ou la guerre totale sous sa forme moderne l’exécutant est aliéné par rapport au produit de son action ».
Prix Goncourt 2006, ce pavé de plus de 900 pages, est une version romancée du livre d’Hannah Arendt, « La Banalité du Mal ». C’est un ouvrage particulièrement dur dans lequel les scènes de tueries sont atrocement décrites et, par ce fait, écoeurantes. Le langage employé est extrêmement cru. Dans ce livre, où s’enchaînent les blocs de texte, on se perd dans la multitude des mots allemands notamment la désignation des grades des responsables nazis. Enfin, la description des rêves du personnage ainsi que ses frustrations sexuelles peuvent lasser le lecteur.
Mais ce roman n’en reste pas moins fascinant car totalement paradoxal. Ce détestable personnage met le lecteur mal à l’aise tout en l’attirant dans son monde de folie et de dépravation. On est captivé par les errements du nazi.
« Les Bienveillantes » nous fait découvrir le mal par le mal. Même basé sur des faits réels, il ne s’agit que d’une fiction. On regrette que ce ne soit un véritable témoignage historique utile au travail de mémoire.
Stéphanie Lebaz