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Publié le 24 Octobre 2007

Les Disparus Par Daniel Mendelsohn(*)

Shoah. Six millions de Juifs anéantis. Six millions dont on ne sait rien, ou presque. Rien sur leur vie de tous les jours, leurs passions et leurs bonheurs, leurs angoisses, leurs peurs, leurs sentiments, leurs amours, leurs métiers. Et s’il est vrai que les rescapés des camps, après un temps de latence plus ou moins long, ont fini par porter témoignage, ceux qui ont disparu, par la force des choses, n’ont pas pu le faire. C’est pour combler ce vide insoutenable que l’auteur, à son modeste niveau familial, s’est lancé dans une enquête aussi folle que passionnante. Folle, parce que l’entreprise s’est échelonnée sur plusieurs années. Passionnante, parce que le résultat dépasse toutes les espérances. Au départ, une question simple : dans quelles conditions une famille juive de la petite bourgade de Bolechow, autrefois autrichienne puis polonaise, aujourd’hui en Ukraine, « une jolie ville, une petite ville animée, un shtetl », « un endroit où une personne pouvait bien vivre, un endroit magnifique au pied des montagnes », comment Schmiel Jäger, l’ancêtre de l’auteur, sa femme, Ester et leurs quatre enfants : Lorka, Frydka,Ruchele et Bronia, ont-ils été assassinés. Comment se sont déroulés leurs derniers instants. Quelle fut leur vie quotidienne avant la catastrophe ? Pour obtenir des éléments de réponse et bâtir le puzzle incroyable de la vie et de la mort des Jäger, Daniel Mendelsohn, accompagné de son frère Matt et, au gré de ses pérégrinations, d’autres parents ou amis, a sillonné la planète au gré des informations obtenues lors de la véritable enquête internationale qu’il a menée et qui l’a conduit en Israël, aux Etats-Unis, en Suède, au Danemark, en Ukraine, en Lettonie, en Lituanie, en Autriche, en Tchécoslovaquie et jusqu’en Australie.


Dans cette quête parfois surréaliste, la moindre bribe compte. L’ouvrage est parsemée de photos jaunies et écornées comme de vues plus récentes, de petits billets miraculeusement retrouvés, de partitions musicales, de paroles de chansons nostalgiques comme la fameuse « Mayn Shtetele Belz ». « C’est toujours les petites choses. C’est ce qui fait la vie. La chose la plus intéressante, ce sont toujours les détails ». Des détails qui s’avèrent essentiels pour les survivants que nous sommes : « C’est bien nous, les vivants, qui avons besoin des détails, des histoires, parce que ce dont les morts ne se soucient plus, les simples fragments, une image qui ne sera jamais complète, rendra fous les vivants ». Pour Daniel Mendelsohn, il est essentiel de lever tous les doutes sur les mystères rencontrés. Les filles de Schmiel étaient-elles deux, trois ou quatre ? Comment sont-ils morts ? Ensemble ou séparément. Où s’est déroulée leur exécution ? Est-il vrai que l’une des filles était volage ? Qu’elle fréquentait un goy dont elle était enceinte ? Que Schmiel le boucher écoulait parfois de la viande non cachère ? Que les Juifs du Judenrat ont trahi leurs frères pour sauver leur vie, mais que deux d’entre eux, Reifeisen et Schindler ont préféré se pendre ?
N’y a-t-il pas un risque à vouloir lever un coin du voile ? Non seulement à cause du Skandal qui risque d’éclabousser des proche, mais aussi parce qu’on risque d’être amené à juger des gens qui ont mal agi, certes, mais dans des conditions épouvantables que nous sommes pas en mesure d’imaginer.
La description terrifiante, ici et là, des Aktionen nazies n’est pas l’essentiel. On notera une propension à décrire par le menu, les repas partagés, repas qui fleurent bon la cuisine d’antan, le principe d’écriture, très utile dans un roman aussi volumineux, de procéder régulièrement à des rappels des faits, et, surtout, au livre dans le livre que constitue une véritable exégèse biblique parallèle, un commentaire des parachiot du début d la Thora, d’Adam et Eve à Abraham.
Qu’avons-nous appris, se demande l’auteur au bout de ce périple ? Essentiellement que :
C’était une gentille famille, une jolie famille
C’était une autre vie, c’était une autre vie.
Comme le dit l’une des « héroïnes » du roman : « Il y a eu les Egyptiens et leurs pyramides. Il y a eu les Incas du Pérou. Et il y a eu les Juifs de Bolechow ». Remarquable. Nul doute que ce magnifique roman sera bientôt porté à l’écran.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Flammarion. Octobre 2007. 656 pages. 26 €