Dans cette quête parfois surréaliste, la moindre bribe compte. L’ouvrage est parsemée de photos jaunies et écornées comme de vues plus récentes, de petits billets miraculeusement retrouvés, de partitions musicales, de paroles de chansons nostalgiques comme la fameuse « Mayn Shtetele Belz ». « C’est toujours les petites choses. C’est ce qui fait la vie. La chose la plus intéressante, ce sont toujours les détails ». Des détails qui s’avèrent essentiels pour les survivants que nous sommes : « C’est bien nous, les vivants, qui avons besoin des détails, des histoires, parce que ce dont les morts ne se soucient plus, les simples fragments, une image qui ne sera jamais complète, rendra fous les vivants ». Pour Daniel Mendelsohn, il est essentiel de lever tous les doutes sur les mystères rencontrés. Les filles de Schmiel étaient-elles deux, trois ou quatre ? Comment sont-ils morts ? Ensemble ou séparément. Où s’est déroulée leur exécution ? Est-il vrai que l’une des filles était volage ? Qu’elle fréquentait un goy dont elle était enceinte ? Que Schmiel le boucher écoulait parfois de la viande non cachère ? Que les Juifs du Judenrat ont trahi leurs frères pour sauver leur vie, mais que deux d’entre eux, Reifeisen et Schindler ont préféré se pendre ?
N’y a-t-il pas un risque à vouloir lever un coin du voile ? Non seulement à cause du Skandal qui risque d’éclabousser des proche, mais aussi parce qu’on risque d’être amené à juger des gens qui ont mal agi, certes, mais dans des conditions épouvantables que nous sommes pas en mesure d’imaginer.
La description terrifiante, ici et là, des Aktionen nazies n’est pas l’essentiel. On notera une propension à décrire par le menu, les repas partagés, repas qui fleurent bon la cuisine d’antan, le principe d’écriture, très utile dans un roman aussi volumineux, de procéder régulièrement à des rappels des faits, et, surtout, au livre dans le livre que constitue une véritable exégèse biblique parallèle, un commentaire des parachiot du début d la Thora, d’Adam et Eve à Abraham.
Qu’avons-nous appris, se demande l’auteur au bout de ce périple ? Essentiellement que :
C’était une gentille famille, une jolie famille
C’était une autre vie, c’était une autre vie.
Comme le dit l’une des « héroïnes » du roman : « Il y a eu les Egyptiens et leurs pyramides. Il y a eu les Incas du Pérou. Et il y a eu les Juifs de Bolechow ». Remarquable. Nul doute que ce magnifique roman sera bientôt porté à l’écran.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Flammarion. Octobre 2007. 656 pages. 26 €