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Publié le 5 Février 2008

Les Faussaires Un film de Stefan Ruzowitzky

Berlin, 1936. Salomon Sorowitsch, dit "Sally", est le roi des faussaires. Il est arrêté et envoyé au camp de concentration allemand de Mauthausen où il arrive à survivre grâce à son instinct, sa débrouillardise et ses talents de dessinateur. En 1944, il est transféré à Sachsenhausen où il intègre un commando top secret qui doit produire des faux billets de banque en livres sterling et en dollars. Il s’agit de l’opération Bernhard lancée par les nazis pour affaiblir les économies ennemies.


Le film de Stefan Ruzowitzky, qui a été nominé à l'Ours d'Or de Berlin et a remporté le Grand Prix du Film Allemand, est bouleversant. Inspiré d'un fait réel retranscrit dans « L’Atelier du Diable », le livre d’Adolf Burger, l'un des survivants du camp de concentration ayant participé à l'opération Bernhard, ce thriller historique relate l’histoire de ces quelques prisonniers obligés de coopérer avec les nazis pour survivre. Véritables privilégiés dans ce camp de concentration, ils mangent à leur faim, dorment dans de vrais lits, portent des vêtements (d’anciens déportés), fument des cigarettes et peuvent même jouer aux cartes ou au ping-pong.
Dans « cette cage dorée », ces prisonniers, venus d’autres camps nazis (Adolf Burger venait d’Auschwitz-Birkenau) et rassemblés pour leur savoir-faire dans le domaine de l’imprimerie, se sentent à nouveau des hommes et tentent d’oublier les atrocités dont ils ont été victimes et le sort tragique destiné aux Juifs. Ils s’amusent, ils rient à nouveau et profitent du jour présent tout en ayant sur la conscience cette coopération pesante et dangereuse. Survivre coûte que coûte. C’est ainsi que résonne Sally, lorsqu’il déclare : « Je préfère mourir gazé demain que fusillé pour rien aujourd'hui. »
C’est dans la crainte constante de la mort qu’ils ont mis au point les premières plaques tout en s’efforçant tant bien que mal d’appliquer différentes stratégies à retarder la production par autant d’impressions défectueuses que possible. Le réalisateur met, d’ailleurs, l’accent sur la solidarité entre ces camarades. La devise est de ne dénoncer personne même si l’un d’entre eux met la vie des autres en danger. Le personnage de Sally fait preuve d’un courage exceptionnel et aide à n’importe quel prix ceux qui partagent son sort.
Malgré cet isolement et cette « protection » dont ils bénéficient, ces prisonniers n’échappent pas pour autant à la réalité. Les humiliations, les meurtres… A la seule différence avec les autres survivants, ils ont des sentiments et sont sensibles à la perte de leurs proches. Une des dernières scènes est saisissante et accentue, d’autant plus, le paradoxe entre ces deux mondes, séparés simplement par une barrière en bois.
« Actuellement, il nous faut parler de l’holocauste et nous avons l’obligation morale de la faire d’une manière qui puisse toucher le plus de spectateurs possible », explique Stefan Ruzowitzky qui ajoute : « Lorsque vous vivez dans un pays tel que l’Autriche, dans lequel des partis populistes d’extrême-droite (FPO et BZO), intolérablement proches de l’idéologie nazie, recueillent régulièrement près de 20 % des suffrages (…), vous éprouvez tout naturellement le besoin d’évoquer le sujet. »
Aujourd’hui, Adolf Burger, l’un des derniers faussaires, continue de raconter son expérience dans les écoles et universités allemandes et conserve toujours chez lui quelques exemplaires des billets qu’il a fabriqués il y a plus de 60 ans.
Stéphanie Lebaz
En salle le 6 février 2008