Il était une fois, venu de Tétouan, la « petite Jérusalem », au Maroc, muni d’un passeport rédigé en espagnol, un Juif, Salomon Adida, regard bleu, moustache et favoris, descendant d’une riche famille de notables, connue pour avoir financé l’amiral Nelson lors de la fameuse bataille de Trafalgar et qui fut expulsée d’Espagne en 1492. Et Salomon, en 1852, choisit l’Algérie pour y planter ses pénates. Il y créa même, avec l’un de ses fils, Léon, une banque privée. Mécène, il dota la communauté juive d’une grande école de Talmud Tora inaugurée en janvier 1912.
Descendante de cette famille, Josiane Sarah Rachel Adida, plus tard Goldberg, raconte son enfance à Constantine. La belle demeure familiale, l’immeuble du Coudiat, boulevard Mercier, la « Torpédo Voisin » du grand-père, les costumes orientaux de la grand-mère, Rachel, « yo mé baya capara por el » (que je meure pour elle), Bachir le chauffeur, Kadour le cocher, Fatma la bonne, Ou encore Nina la lavandière. Elle se souvient, comme si c’était hier, des fêtes juives, Pourim et Pessah, de la célébration fastueuse des 14 juillet et des moments douloureux comme la mort du père aimé alors qu’elle n’a que vingt-six ans.
La mémoire vive et douloureuse, c’est aussi le tristement célèbre pogrome de Constantine du 5 août 1934. Des hordes d’Algériens armés de couteaux se ruant sur le quartier juif et massacrant tout sur leur passage. Des dizaines de morts, des centaines de blessés. Le motif, parfois invoqué des injures qu’aurait proférées un zouave juif à l’égard de l’islam n’est pas, on le sait, retenu sérieusement. L’auteur, très opportunément, donne un large extrait d’un article de Ferhat Abbas dans L’Entente de septembre 1934 qui donne une bonne vision des sentiments de la population algérienne et du « ressentiment qu’inspirait l’ascension rapide du Juif qui, hier encore, ployait sous la loi turque et le statut de dhimmi « : « A l’abri des lois qui la protègent, la société israélite a donné naissance à une bourgeoisie puissante, hier encore, comme nous, sous la domination turque. Aujourd’hui, elle est partout. Là où le citoyen électeur a pu entrer, le Juif a trouvé sa place. C’est son mérite et sa chance. J’ai dit la bourgeoisie juive car malheureusement existe chez eux, comme chez nous, un prolétariat vivant sans hygiène, sans ressource. Le Juif moyen a droit à toute notre sympathie. Il n’en n’est pas de même des rois de la finance et de la politique. Ce bourgeois juif, complètement occidentalisé, s’est inféodé au parti qui détient le pouvoir et il écrase de son mépris son compagnon d’infortune d’hier, le Musulman. Je passe sous silence l’insolence du Juif constantinois qui baptisa son chien Mohamed et sa bonne Fatma. Il y a là une grande responsabilité des dirigeants israélites. L’après-guerre les a trouvés partout, dans les loges maçonniques, dans les partis dits de gauche, de la Ligue des Droits de l’Homme, à la tête des grands quotidiens. Le prolétariat indigène, seul, leur est resté étranger ». Edifiant, ce discours permet de comprendre, du moins en partie, la suite d’événements et la destinée que connaîtra le judaïsme algérien contraint à l’exil.
Puis c’est le lycée et, bientôt, le 3 octobre 1940, la loi portant statut des Juifs. Comme en France métropolitaine, les Juifs sont exclus de tous les grands corps de métiers. Le 8 novembre 1942, enfin, c’est le débarquement allié et la Libération.
En 1949, Josy est une jeune femme qui entre dans la vie professionnelle comme enseignante à l’ORT. C’est là qu’elle va connaître celui qui sera son époux Roman alias Romain Joseph Goldberg, dit Goldi, nommé directeur de l’établissement.
1954. La vie devient intenable, les attentats attribués au FLN sont meurtriers.
Josy et Romain décident de se marier. Bientôt naîtront Jean puis Diane.
Après le putsch des généraux, la situation en Algérie s’envenime. Il faut songer au départ. Nommé à Bamako, Romain préfère démissionner et opte pour un emploi aux « Forges de Strasbourg ». C’est à présent l’exil, les chambres d’hôtel exiguës, un licenciement, des ennuis de santé. Les Goldberg se retrouvent plus tard à Paris. Nous sommes en 1964 et Romain est employé au FSJU. Josy, elle, travaille au Rectorat…
L’auteur propose, en fin d’ouvrage un texte tel que l’aurait écrit son mari, mort en 1980, ainsi qu’une « Lettre de Diane à son père » et un « Hommage de Jean à son père ».
Parfois un peu trop intimiste, mais, dans l’ensemble, émouvant.
Jean-Pierre Allali.
(*) Avant-propos de Benjamin Stora. Editions Orizons. 278 pages. 23 euros